Discussions sur l'affaire.

« Frère, sens –tu ce souffle sur notre visage ? Vois-tu ce que je vois ? Entends-tu tout ces bruits si familiers et pourtant si distants… Nous avons réussi, frère, nous sommes libres. La puissance, ce sixième sens que nous avons perdu, est de nouveau là. En me concentrant, je perçois ses volutes et me perds dans l’océan de ses nuées… Elle court entre mes doigts, entre nos doigts… La ressens-tu, frère ? A toi aussi, elle te donne soif, n’est-ce pas ? Soif de haine, soif de douleur… Il est temps frère, il est temps de remonter à la surface, de renouer ce qui a été défait, de reprendre ce qui nous appartient… Mais d’abord… Oui… Rappelons-nous le goût du sang… »

Il faisait nuit sans lune à Bourg en Bière, mais la ville ne dormirait pas avant plusieurs heures. Les bars tournaient à plein régime, la population était de sortie, les étudiants profitaient de la soirée… L’agitation calme et échevelée d’une splendide soirée de printemps. Couples, jeunes et vieux, profitaient de la lumière des lampadaires, marchaient et se précipitaient dans les bars, clubs et lieux de divertissement pour échapper au froid de la nuit…

Il restait dans l’ombre, regardant la population. Ses narines humaient l’air, comme à la recherche d’une proie. La chose devint fébrile, et sauta sur un toit à l’écart pour regarder les environs… Il lui fallait un endroit discret, proche d’une rue fréquentée… Ses yeux perçants se figérent sur une ruelle sombre, sur le chemin des étudiants de retour vers l’Université. Quel parfait endroit pour accomplir ce qu’il avait à faire… L’ombre émit un gloussement ravi avant de descendre du toit… Une fois arrivé à destination, il attendrait… Il attendrait une proie sans défense et peu vigilante… Et en un éclair, ce serais terminé…

L’ombre attendit, et attendit encore, réfléchissant à sa proie, réfléchissant sur ce qu’il en ferait… Il la fera souffrir. Il l’emprisonnera dans ses propres cauchemars pour qu’elle comprenne, comprenne à quel point lui-même avait souffert. Elle serait coupable, simplement parce qu’elle était comme tout ces autres qui l’avaient jugés, vaincus, mis en cage. Il commencerait petit, et doucement leur montrerais la peur, l’angoisse d’être la proie de sa vengeance. Ils l’auront sous estimé, ils s’en mordront les doigts…

Minuit sonna à ses oreilles comme un renouveau. Ce jour qui commençait serais le premier d’une longue série… Il en était persuadé… Calme et excité à la fois, il étudia ceux qui passaient devant lui sans le voir… Et il la trouva…

Elle était parfaite, seule, hagarde, et pourtant d’une prestance si artificiellement noble, avec ses habits hors de prix et sa démarche mécanique… Son sang devait être pur, si abominablement pur... Elle serait sa première victime. L’ombre tout excitée, se tint en position, attendant, la baguette fébrilement pointée vers la rue allumée, que ce petit agneau immaculé passe et se prenne dans son piége. La voila qui passait un pied… Puis deux… Ne restait plus qu’à tirer…

Le coup fût bref, rapide, précis. La jeune agnelle fut emportée dans un cri de surprise, disparaissant en un instant aux yeux des personnes qui marchaient à quelques dizaines de mètres derrière elle. Dans sa précipitation, l’ombre ne les avait pas vues…

C'était un des premiers soirs de week-end du printemps, la fin des cours approchant à grands pas, ainsi que les quelques semaines de répits avant le début des périodes révisions juste avant les examens de fin d'année.
La journée avait été belle et ensoleillée, mais, une fois finie, la fraicheur de la nuit avait repris le dessus et venait glacer les rues maintenant presque désertes du petit village irlandais.

Samedi soir. Le soir de tous les excès et de toutes les folies. Les bars et restaurants étaient pleins à craquer et la première partie de soirée venait juste de s'achever, déliant les langues, libérant les esprits et affranchissant les mœurs. L'ambiance commençait tout juste à atteindre son niveau le plus haut tandis que certains, ayant commencé plus tôt que d'autres avaient déjà la tête qui tournait et l'équilibre bien moins assuré que leurs pairs.

Bientôt minuit.
L'heure pour les princesses de rentrer dormir dans leurs tours d'ivoire ' avait gentiment plaisanté son ami Garth en voyant la bouille ensommeillée de son amie qui avait bien du mal à retenir ses bâillements intempestifs et à maintenir ouverts ses yeux dont les paupières semblaient bien lourdes. La fatigue de la journée sans doute… peut-être aussi l'effet de la bière au beurre arôme vanille/ cannelle allez savoir…

C'est finalement son camarade suédois qui finit par la convaincre de rentrer, lui proposant gentiment de la raccompagner au château moyennant un sachet de biscuits à la noix de coco promis pour le lendemain.
Une fois un dernier tour de salle effectué, les amis salués et une dernière chips de citrouille chipée, les deux étudiants sortirent donc de la taverne du Korn-flex alors que le tout premier son de cloche annonçant la 24e heure résonnait sur le petit village.

L'air frais réveillât immédiatement les deux jeunes gens et la jeune fille s'emmitoufla un peu plus dans la cape qu'on lui avait prêtée pour le chemin. À cette heure-ci, la grande rue était déserte, et seuls quelques rires et cris étouffés par les écharpes résonnaient dans le dédale de ruelles qui sillonnait la petite ville que de rares piétons traversaient d'un pas rapide, silencieux et engourdi par le froid qui y régnait.

Elizabeth, encore à moitié engourdie et frigorifiée par son état quasi endormi, claquant presque des dents, suivait vaillamment son escorte personnelle, trottinant à ses côtés ; en se demandant comment il pouvait bien supporter un froid pareil ; alors qu'il semblait ne pas être affecté par le changement de température entre la taverne et les rues glacées du village.

Derrière eux, à une bonne distance, deux élèves qui semblaient elles aussi retourner à l'université, se tenant l'une à proximité de l'autre, ayant l'air d'échanger quelques secrets ou de tenir une discussion animée, mais en prenant soin de ne pas trop élever la voix, surement par respect pour les habitants du quartier qui devait déjà tous dormir à point fermé à cette heure-ci.
Bien plus loin encore, un petit groupe, bien moins préoccupé par le sommeil des habitants, venait à leur rencontre, riant et chahutant avec un sort de feu d'artifice enchanté aux formes de dragons multicolores.

Soudain, une bourrasque de vent plus violente que les autres vint assaillir l'avenue qu'empruntaient les étudiants, malmenant les vieux arbres et les poutres un peu trop vieilles des anciens bâtiments alentour, fouettant les visages de la poussière de la chaussée et emmêlant les cheveux qui venaient barrer la vue des jeunes gens trop peu couvert.
Le bruit monstrueux de cette vague d'air fracassante fit trembler les tôles des toits et son grondement sourd résonna dans la rue sous forme d'écho tandis qu'un cri aigu et bref résonna à quelques mètres des deux étudiants.

Une étudiante, simple inconnue, marchant seule à quelques mètres en face d'eux venait de disparaitre en une fraction de seconde... comme aspirée par la petite ruelle. Happée en plein milieu de son parcourt sans qu'aucune intervention extérieure ou entité malveillante aie pu être détecté. Seul son cri avait témoigné de l'imprévu et de la violence de l'événement.

Elizabeth et Sven se figèrent en même temps, leurs regards inquiets se croisèrent tandis que le garçon, baguette en main avançait vers la sombre ruelle d’où était venus le hurlement.
C'est un autre cri qui accompagna sa découverte tandis que sa camarade posait le regard par-dessus son épaule, sur le spectacle qui s'offrait à eux au fond de ce petit bout de ruelle sombre, froide et humide.
Le cœur battant à tout rompre, le teint aussi blême que celui de la victime, une main tremblante sur la bouche d’où venait de s'échapper un cri perçant, la jeune fille avait agrippé le bras de son camarade et scrutait son visage incrédule à la recherche d'une quelconque explication.

-Merlin! C'était quoi ça !!??

Le jeune suédois était de sortie ce soir. L'arrivée du printemps sonnait le réveil nocturne de Bourg-en-Bière pour les mois à venir. Et en ce samedi soir, un certain nombre d'étudiants s'était retrouvé au Corn Flex pour débuter la soirée tranquillement, et ainsi boire un verre tout en discutant. Buvant quelques bières, le suédois appréciait ces moments de convivialité avec ses camarades, permettant de rigoler autour d'une tabler et ainsi d'avoir la tête ailleurs que dans un livre de sortilèges ou encore de procédures. Mais toutes les bonnes choses ont une fin, et le jeune homme comptait bien réviser le lendemain matin, et ne devait donc pas trop tarder. Voyant Lizzie exténuée, il lui proposa de la raccompagner, gagnant au passage quelques biscuits à la noix de coco.

L'air étant nettement plus frais à l'extérieur du Corn Flex, chose qui ne dérangeait pas particulièrement Sven, celui-ci étant habitué au froid et aux bourrasques. De plus, le fait de savoir qu'il allait savourer de délicieux biscuits à la noix de coco le rendait plus souriant que d'habitude. Et oui, il lui en faut peu pour être heureux. Malheureusement, la soirée s'annonçait bien plus agitée que ce qu'il pensait. En effet, alors qu'il raccompagnait Lizzie, le vent souffla plus fort, et la jeune fille qui marchait devant eux jusqu'à présent se volatilisa. Croisant le regard de la Dorelly, il attrapa instinctivement sa baguette avant de se diriger immédiatement à grandes enjambées vers la ruelle où la jeune fille avait disparu.

Se saisir de sa baguette était devenu un réflexe pour le jeune homme, et il faut dire que la situation s'y prêtait. La disparition soudaine de l'étudiante ne présageait rien de bon, et la découverte du suédois renforça cette impression. Alors qu'il venait d'arriver au croisement, il s'engouffra dans la ruelle, découvrant le corps de la jeune fille allongé par terre. Lizzie l'avait rattrapé entre temps, pendant que Sven restait sans voix devant le scène quelques secondes. Le cri de son amie suffit à lui faire reprendre ses esprits, ne prenant même pas le temps de lui répondre, Sven brandit sa baguette devant lui, tout en reprenant sa marche en avant, se détachant du bras qui le tenait.

« Lumos amplificatum ! »

Plutôt que de se contenter d'un simple faisceau lumineux émanant de sa baguette, il préféra faire apparaître une boule de lumière surplombant la ruelle afin d'avoir une meilleure vue. Bien sûr, il y avait les lampadaires, mais ils n'éclairaient pas particulièrement bien cette ruelle. Qui plus est, la lune était absente et il valait mieux être prévoyant. Le jeune homme continua d'avancer en courant, s'arrêtant au bout d'une dizaine de mètres, tout en scrutant autour de lui afin de voir quelqu'un ou quelque chose, du moins l'auteur de cet acte. Cependant, il aurait été plus qu'imprudent de continuer à s'avancer dans la ruelle, et ainsi de laisser Lizzie seule derrière lui. Les traits tirés, le suédois était attentif, essayant ainsi de voir, à défaut de pouvoir entendre à cause du vent. Il ne connaissait pas la victime, mais avait bien une réponse à fournir à Lizzie. Il la garda pour lui, mais un nom résonnait dans sa tête : «  L'Ordre de l'Ouroboros ». Pourquoi ? Et bien tout simplement parce que l'attaque l'avait marqué, et que depuis il bloquait là dessus, à tort ou à raison. En attendant, le jeune homme observait autour de lui, sa main droite tenant fermement sa baguette, prêt à lancer un sortilège au moindre bruit, au moindre mouvement qui l'alerterait.

Eclairée par le sortilège, la sombre ruelle présentait un tableau glacé. De lourds et hauts murs parsemés de mousse entourait une ruelle pavée, traversée d’une gouttière sale de récupération des eaux usées. Une gros conteneur à déchet se trouvait juste après l’entrée, avec une porte de secours derrière, renfoncée dans un mur, sans poignée, sans serrure, sans hublot. Une porte fermée sur un mur sans fenêtre, en vis-à-vis avec un autre mur sans ouverture. Pas de sortie, si ce n’était le fond de la ruelle, qui se terminait sur un carrefour sale, où le coin nu d’une maison haute présentait une fenêtre à l’étage, dont la lumière jaune, ne faisait que signaler la présence d’occupants à l’intérieur. Un toit en sous-pente arrivant sur la rue à hauteur de poitrine permettait de passer par-dessus le mur de la propriété. Pas âme qui vive derrière les rideaux.

La victime était étendue au milieu de la rue, comme enfouie au milieu de ses vêtements. Elle offrait un spectacle misérable, bras en croix et cheveux détachés, sa robe magnifique s’imprégnant de l’eau sale du caniveau. Immobile et pale comme la mort, ses yeux étaient fermés, comme endormis, et sa figure délicate de poupée se tournait vers le ciel, la bouche encore empreinte de la surprise qui avait été la sienne. Mais à cette distance, il était bien difficile de savoir si elle était encore en vie, ou si un destin plus terrible avait été le sien.

De son assaillant, aucunes traces. Quoi qu’il se fût passé ici, les cris d’Elizabeth l’avaient fait fuir, laissant sa victime derrière lui. Le vent s’engouffrait dans la ruelle dans un bruit de train fantôme, et rien n’était audible, à part, au loin, les bruits du groupe de jeune qui jouait avec les feux d’artifices comme si rien ne s’était passé.

A coté de la poubelle, une bouteille vide et un quignon de pain semblaient avoir été abandonnés, c’était les seuls déchets visibles dans la ruelle, malgré l’aspect délabré général. En tout cas, de là où vous vous trouviez.

Tout s'était déroulé si vite… La jeune fille avait à peine eu vraiment le temps de comprendre l'événement qui venait de se dérouler sous ses yeux. Son camarade semblait avoir de meilleurs réflexes qu'elle peut être grâce à sa formation de police magique, et il se libérât presque aussitôt de son étreinte, pour partir en courant, s'engouffrant sans hésitation dans la ruelle sombre et humide.
Muette et immobile, elle restât planté là encore quelques instants, seule au milieu de la grande rue où, les autres étudiants continuaient à circuler, semblant n'avoir rien remarqué de la tragédie qui venait juste de prendre place à quelques dizaines de mètres d'eux.

Elizabeth se reprit à l'instant où une boule de lumière naissante au milieu de la ruelle vint l'aveugler et lui rappeler la terrible situation dans laquelle ils étaient.
Sven était maintenant un peu plus près de la victime et semblait scruter le moindre recoin de la rue maintenant désertée.
Prudemment la Dorelly le rejoint. Le sol était humide, les parois de la ruelle sombres et peu rassurantes. Effrayée, mais brave et pleine de volonté, elle se reprit et marcha lentement jusqu'au corps de la victime afin de pouvoir constater son état.
L'esprit et le corps engourdis par la peur et l'angoisse, elle était consciente qu'elle seule était pour l'instant capable de voir si la victime nécessitait des premiers soins qu'elle serait capable de lui prodiguer ou s’il était trop tard pour faire quoi que ce soit.

Même si le danger n'était pas encore tout à fait écarté, elle savait qu'il fallait agir vite, car les premiers instants après une blessure sont toujours capitaux pour la survie de la victime.
Sans s'en rendre compte, ses cours, pratiques et théoriques lui revenait en tête ainsi que les gestes et attitudes à avoir dans ce genre de situation. Un instant elle se dit qu'elle avait eu raison d'avoir choisi une telle orientation qui puisse lui permettre ainsi de venir au secoure des gens, dans toute la mesure que sa faible constitution le lui permettait.

Sa bottine vint percuter un des pavés du sol en pierre grise alors qu'elle marchait dans une petite marre d'eau croupie que le filet d'eau que parcourait la ruelle avait formée dans un creux de la chaussée. Elle avait avancé sans vraiment regarder ou elle posait les pieds, les yeux rivés sur le corps de la victime qui semblait avoir été déjà abandonné par la vie courte qui l'avait animé un temps.

C'était une étudiante de l'université. A son allure et à sa façon encore juvénile d'être habillée, Elizabeth se rendit compte que celle-ci devait être plus jeune qu'elle. Une première année peut-être…
Son visage, opale et transparent, reflétant presque la lumière du sort d'éclairage, contrastait au milieu d'un flot de boucles aussi sombres que la ruelle elle-même, dont certaines, humides et mêlées étaient maintenant collées à ses joues, tel le lierre qui monte sur un vieux bâtiment abandonné par ses habitants. Bien que l'inconnue ait les yeux fermés, son visage encore crispé reflétait le terrible effroi qu'elle avait dût ressentir au moment de son attaque.
L'étudiante en santé magique se figea un instant en constatant la pose étrange dans laquelle son agresseur l'avait laissé. Elle était allongée là. Droite comme on peut l'être au dernier moment de sa vie, ensevelie dans ses vêtements devenus gris, mouillés par l'eau croupie, comme s'il s'agissait d'un linceul.
Il ne manquait presque que l'écrin de bois pour voir à quoi elle ressemblerait le jour où on la mettrait dans un cercueil.

Ses yeux fermés et son teint translucide, ainsi que l'absence de mouvements qui auraient pu témoigner qu'une trace de vie circulait encore dans les veines de ce corps si frêle, ne firent que confirmer les craintes de la Dorelly.
Elizabeth resta un instant immobile, agenouillée au côté de ce corps éteint, encore une fois perdue dans ses pensées.
C'est une bourrasque de vent qui, s'engouffrant dans la ruelle, provoquant un autre grondement semblable à celui qui avait raisonné plus tôt, juste avant l'attaque qui la fit une fois de plus émerger de ses pensées sombres.
Tremblante et peu assurée, elle tendit la main vers celles, glacées et immobiles, de la victime.
Elle remontât un peu le tissus devenu froid et lourd de l'eau qu'il avait absorbé et qui couvrait le poignet de la victime où elle appliquât deux de ses doigts sur la veine, puis ferma les yeux essayant de se concentrer, comptant silencieusement dans sa tête avant de se relever brusquement et de crier à son ami.

- Sven! Vite ! Elle est vivante !!