S.W.Y.N ¤ Someone Wants You Nuts ¤
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 Mi-ré-oir [PV]

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Eleanor Des Oraisons
M.U.M
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Eleanor Des Oraisons



 
▌Né(e) le: 23 Décembre
▌Pays d'origine: Russie
▌Statut: 4ème année

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MessageSujet: Mi-ré-oir [PV]   Mi-ré-oir [PV] EmptyVen 21 Jan - 16:53

Ses prunelles d’argent suivaient le mouvement des rideaux soufflés par le vent du nord. Dansant parfois avec violence, puis avec beauté, ils se mouvaient autour de son lit avec une étonnante vivacité pour quelque chose qui n’avait pas d’âme. Depuis plus d’une heure, Ela regardait le spectacle qu’ils offraient, écoutant d’une oreille le son du carillon qu’elle avait suspendu à la fenêtre. Son tintement délicat, irrégulier comme la brise, faisait office de berceuse. Une nouvelle tous les jours, suivant les humeurs du vent. Si parfois la magie du carillon suffisait à l’endormir, il n’en était rien ce soir. Quelque chose l’empêchait de trouver le sommeil. Intérieurement, elle savait qu’elle ne pourrait se rendormir avant de le voir. Pourquoi résistait-elle autant ? S’il y avait bien quelqu’un avec qui elle voulait éviter d’entrer en conflit, c’était bien cette voix qui résonnait jusque dans ses rêves les plus profonds. Soudainement résolue à chasser la conscience qui lui sommait de ne pas céder à la tentation, Ela glissa ses jambes hors des couvertures, le bout de ses orteils se déposant sur le carrelage froid. Nouant une robe de chambre en dentelle blanche par-dessus sa nuisette, elle s’approcha d’une armoire où elle saisie une chandelle par la hanse et l’alluma. La flamme éclaira son visage d’une lueur oscillante, chaleureuse. Pied nus dans la pénombre, Ela quitta le dortoir sans bruit et descendit l’escalier en colimaçon menant au rez-de-chaussée, jetant un regard en arrière à quelques reprises. Irrémédiablement, dans ce vieux château, lorsqu’elle se promenait la nuit, il n’était pas rare que l’impression d’être suivie la taraude.

Dans le hall, elle croisa la silhouette translucide de Jaymal Odan, éternellement vêtu de haillons. Assit à même le sol, ses épaules étaient secouées de sanglots. À travers ses reniflements, Ela parvint à saisir quelques bribes de mots.


« Nuits noires... Si longtemps... Cette pluie... »

Le cou d’Ela s’étira vers la fenêtre ; il ne pleuvait pas. Le geste ne passa pas inaperçu aux yeux du fantôme qui maintenant fixait Ela avec sévérité, devinant sa pensée. Le regard accusateur de Jaymal la fit reculer puis reprendre sa route. Elle n’avait nullement envie de froisser davantage les émotions d’un revenant. Ainsi à reculons, elle s’engouffra dans le couloir de droite jusqu’à ce qu’elle perde le pauvre Jaymal de vue. La cadence de ses pas se faisait plus lente au fur et à mesure qu’elle se rapprochait de la pièce précédant les tunnels. Vous savez, celle tout au fond du couloir. La toute dernière salle. Ela s’attarda un instant sur la poignée de bronze de la porte. Savait-il déjà qu’elle était là ? Sous l’appréhension, elle se mordit la lèvre inférieure et poussa une fois de plus la porte de la Salle à Revers. À son entrée, une voix familière l’accueillie.

« Bonsoir, Eleanor. »

Suave, posée et hypnotisante à la fois, telle était la voix qui semblait provenir d’outre-tombe et qui avait pour Ela un caractère amical. Dans la pièce, un vieux miroir dissimulé derrière un lourd rideau de velours rouge faisait face à un mur de pierre, sans plus. De par sa simplicité, le décor de la pièce lui donnait des airs surréalistes. Ela s’avança vers le miroir qui semblait n’attendre qu’elle. Derrière ses pas, la traine de sa tenue de nuit glissant sur le marbre glacé. Une nouvelle fois, la voix s’adressa à elle.

« Vas-tu jouer de ton violon, ce soir ? »

Ela baissa son regard vers son violon qu’elle tenait fermement au creux de sa main depuis qu’elle avait quitté sa chambre.

« Qu’est-ce qui ne va pas, Eleanor ? »

Agacée que le miroir retourne ainsi le fer dans la plaie de son habituelle clairvoyance, Ela dégagea le rideau de velours et lui lança un regard réprobateur. Le faisait-il exprès ? Ela s’éloigna pour déposer sa bougie au creux d’une lanterne accrochée au mur. Cette conversation, ils l’avaient déjà eu, et plus d’une fois. Pourtant, Ela ne parvenait pas à en vouloir bien longtemps au miroir. Si peu d’individus pouvaient se vanter de connaître les tréfonds de l’âme d’Eleanor Des Oraisons. Les propos du miroir s’avéraient parfois blessants. Elle ne s’étonna du pouvoir du miroir que lors de sa première visite, il y a déjà quelques années de cela. Depuis, elle était accoutumée à ses jeux d’esprit. Même qu’Ela trouvait qu’il y avait quelque chose de rassurant de toujours savoir où le trouver si besoin est. Elle pouvait exiger de lui ce qu’un être humain n’accepterait jamais.

« Pourquoi es-tu venue me voir ? »

Si seulement elle le savait. Ela ne trouvait pas le sommeil, et n’avait tout bonnement personne d’autre vers qui se tourner. Le temps où elle se glissait aux côtés de son frère sous les couvertures qu’ils montaient en tente jusqu’à ce qu’elle s’endorme était révolu. Elle connaissait bien quelques élèves avec qui elle discutait de temps en temps, mais pas assez pour aller les tirer de leur sommeil en pleine nuit. Ela se disait que cette constatation signifiait quelque chose, seulement elle n’était pas prête de mettre le doigt dessus. En guise de réponse au miroir, elle haussa les épaules, leva son violon à hauteur du visage afin d’y déposer son menton. L’archet glissa naturellement sur les cordes, et aussitôt qu’Ela ferma les yeux, une lourde mélodie au rythme lent s’éleva dans l’air.
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MessageSujet: Re: Mi-ré-oir [PV]   Mi-ré-oir [PV] EmptySam 29 Jan - 20:08

Quelle fut la cause de son soudain réveil ? Peut-être la fraîcheur nocturne qui imprégnait désormais ses vêtements ; l'empreinte humide de l'herbe froide contre sa joue ; cette brise glacée qui enveloppa son corps endormi un instant plus tôt ; ou bien simplement, le fait qu'elle devait rouvrir ses yeux ambres à ce moment-là et non pas un autre. Les paupières étrangement bleutées papillonnèrent, hésitantes, cils désordonnés, emmêlés, avant de doucement dévoiler deux prunelles à la nuance whisky. Cette même teinte, ce même arôme d'alcool révulsant les papilles, à la fois acidité et amertume, ou relent glucosé de liqueur. Whisky boisé, whisky confis, whisky empyreumatique.
L'once de surprise qui peignit un instant son visage blême ne serait nullement passée inaperçue devant quelque personne, en tout autre contexte. La neutralité habituelle s'esquissant sur ses traits en chaque circonstance, partiellement effacée d'un étonnement juvénile. Et à raison.
Jack Eden Narcisse Lauwrence se trouvait allongée à même la terre. Celle-ci, meuble et mouillée, justifiait ainsi l'état de son dos, trempé, dont l'habit imbibé d'eau adhérait à la courbe.

Elle se releva à demi, incertaine, observant avec détachement les engelures de ses mains, lapant ses lèvres figées, retirant d'un geste las les boucles moites de sa clavicule blanche. Le contour de sa bouche, rendu foncé par la température si basse, sillon écarlate soulignant cette lippe d'un bordeaux soutenu, se révéla rugueux et âpre sous ses doigts. Jack remua ses jambes maigres, testant leur réceptivité, puis s'efforça, difficilement, de se tenir droite. Debout sur deux pieds chaussés de ballerines, vacillante, elle débuta d'une démarche empruntée sa procession vers l'imposant édifice. La présence de sa baguette, malhabilement dissimulée dans les coutures de son jean sombre, irritait de son pommeau la cuisse blafarde, mais apaisait cependant la jeune fille par sa compagnie, même douloureuse. L'exercice ardu du pas, corps bien lourd pour des mollets si malingres, l'étourdit et elle dû s'appuyer contre un pilier ouvragé pour ne pas chanceler. La nausée incendiait sa gorge, paumes frémissantes, décor valsant sous son regard mouillé. Souffrante ? Probablement. Cela lui apprendrait à s'assoupir où bon lui semble ; et à ne pas veiller correctement à sa santé pourtant clairement instable. La nuque gracile sans cesse dénudée face au vent hivernal, la peau nacrée, opaline, découverte, si vulnérable masquée de son enveloppe cotonneuse, soyeuse. L'écharpe en voile négligemment portée, distendue autour de ce cou dégagé, seul obstacle à l'encontre de la traître saison, ne suffisant malheureusement pas à défendre son immunité.

La nuit.
Le sol, inégal, aux multiples aspérités. Le cheminement, lent, laborieux, dont le son des talons sur la pierre résonnait contre les murs tristes.
La lumière, au creux de ses songes, au coeur de ses souvenirs. Sourire radieux à son adresse, reflets blonds pâles au détour d'un escalier, en éventail sur une taie unie, épaisse chevelure au parfum d'anis, beaux yeux gris, pétillement gai, rétines aveugles.
Le souffle de Jack, court et pénible, ardente exhalaison ayant pour seul but d'attiédir les phalanges figées. Les ondulations brunes et éparses dont l'écoulement tranquille baignait les épaules étroites, l'échine évidente, les reins vêtus de soieries, obstruaient partiellement sa vue. Elle les retira de son visage d'un mouvement agacé, puis avisa une large fenêtre à sa droite.
La nuit.

Les couloirs éplorés, aux allures mélancoliques, s'étendaient à l'infini tandis qu'elle s'y enfonçait, bile au ventre, lèvres closes en une vaine tentative d'empêcher l'inévitable. Les haut-le-coeur s'intensifièrent, le malaise décupla. Elle porta une main ferme à sa bouche devenue livide et s'adossa contre une voute en berceau, dont l'arrondi austère acheva inexplicablement ses maigres résistances.


« … »

La pestilence, remugle insupportable, arrachant un énième soubresaut au corps, d'apparence brisée. Le dos arc-bouté, la pierre insensible, le dîner auquel elle n'avait pas eu droit maculant le sol ordinairement terne. Et enfin, cette mélodie.
Cette mélodie qui sembla empoigner son bras et la délivrer de cet état semi-comateux dans lequel elle s'enferrait. Mélodie au rythme lent, harmonie de l'archet, du violon, chant des cordes. Jack visualisa les notes, les accords, les croches. Elle rêva de partitions concises, l'encre encore luisante, écriture serrée, annotations illisibles, noires, blanches, deux temps, trois. Hauteur, timbre, durée, intensité. Quatre bases, quatre repères. Et comme un murmure à son oreille assourdie.
« Tempo. Tempo. Ralentis. Tu as un long bras, sers-t'en. De quoi as-tu peur ? Appuie. Appuie comme un garçon, Jack... »
« De quoi as-tu peur ? »

Elle se redressa. Lentement, l'estomac creux, les membres saisis. Elle se redressa, à la tonalité de l'instrument, à la suavité de ce son, à la phonème de la sérénade. Mais bientôt, au plus profond des pensées enchevêtrées de Jack, cette merveilleuse symphonie fut étouffée par un somptueux concerto et lui céda place. Un concerto à la fois haï et adoré, qui la révulsait d'une part et la passionnait de l'autre. Tchaikovsky, et son violon aux élans nostalgiques, prose déchirante, poésie enchanteresse. Seul dirigeant de l'orchestre lui-même, maître de ses sonorités aiguës.
Un coup d'archet en pointe particulièrement exalté la tira de sa fascinante rêverie, et piquée d'un intérêt soudain, elle scruta les alentours de ses pupilles assombries. D'où provenait donc la mélodie ? Cet air inspirant la paix à son esprit tourmenté et maladif, soulageant les violentes nausées dont la brûlure rongeait sa gorge ?
Ses pas engourdis, ainsi que son ouïe captivée, la menèrent au seuil d'une porte dont le battant n'était qu'appuyé. Jack hésita un instant, crainte des représailles, peut-être ; mais sa paume vint trouver la poignée de cuivre, comme mue d'une existence propre, et d'un geste décida de ce qui adviendrait ensuite.
Elle entra.

La pièce faiblement éclairée constituait un contraste surprenant avec la pénombre des couloirs et Jack en fut éblouie. La salle paraissait en tous point quelconque, mais ce constat se voyait prestement démenti à la vue de l'imposant miroir. Et cette musicienne, exerçant son art, près de celui-ci. D'une beauté froide et pourtant éclatante, sa technique ne semblait connaître aucune borne et son talent, indéniable. Jack se laissa bercer de longues secondes par ce rythme savoureux, envoûtant. Qui pouvait-elle bien être ? Jeune femme à la joliesse troublante, Jack y portait des regards séduits, de par sa musique et sa vénusté. Ce fut avec peine qu'elle retint un soupir.
Elle s'interrogea quant à ses agissements : devait-elle signaler sa présence, quitte à ce que l'apparition ne prenne la tangente, par effroi ? Mais alors qu'elle s'apprêtait à quitter l'ombre, indécise, les mains pâles jointes sur le maigre bassin, l'éclat du miroir détourna son observation pourtant attentive.
Dès son entrée, Jack l'avait subodoré. La Salle à Revers. Pourtant, elle n'attachait aucune importance à ce titre illustre. À la réputation du reflet, si prometteuse. Ni même à ce qu'il pourrait lui offrir. Cependant, et tandis qu'elle l'examinait, son admiration apparaissait évidente. Comment pouvait-il en être autrement ? À commencer par les ornements, les pierreries qui en paraient la glace. Et son image, si fidèlement reproduite...

C'est ainsi qu'elle ne put maintenir sa stupeur. Le hoquet surpris. N'était-ce pas improbable ? Elle n'avait pourtant rien perdu. Jack en était certaine. Jack n'avait jamais douté, seulement regretté. Elle n'avait rien perdu. Malheureusement, le miroir n'était pas du même avis.
Face à Jack, Jack.
Oubliée, l'exquise musicienne, qui devait d'ors et déjà s'être aperçue de sa présence incongrue, à cette heure si tardive. La cadence irrégulière de ce coeur si éprouvé, dont le seul son étourdissait Jack.
Face à Jack, Jack.
Jack aux épaules carrées. Jack à l'allure assurée. Jack au visage masculin, cheveux bruns raccourcis, seyant mieux à sa figure. Jack, dont l'apparence rendait le prénom commun. Jack, aussi naturelle qu'elle ne l'avait jamais été.
Jack. De l'anomalie humaine, disparue. De l'asociabilité atypique, et la sociabilité hypocrite, disparues. Du malaise permanent et continu, dont le ressentiment se manifestait en toute situation, aussi agréable, soit-elle... disparu.

« Jack... Écoute-moi... Vois-tu, lorsque tu es née, il s'est révélé que tu étais à la fois un garçon et une fille. Tu comprends ? Alors, avec maman, nous avons décidé que tu serais une fille... Une fille... »

« Je peux te l'accorder, le sais-tu ? En échange... que dirais-tu d'y céder tes jambes ? C'est une proposition des plus honnêtes. »

Et Jack s'en détourna. Car accepter un tel marché aurait été inconvenant. Son statut féminin la contentait. Ses jambes lui étaient précieuses. Sans elles... Jack préféra omettre cette pensée et ne pas l'approfondir. Elle en redoutait la conclusion. Elle en redoutait le corps-même, et s'abstint d'en développer le préambule. Les souvenirs n'en seraient que douloureux. Elle ne possédait pas les moyens de panser à nouveau les plaies. Elle ne possédait pas la volonté de panser à nouveau les plaies. Et s'il avait fallu, elle aurait laissé les cicatrices se rouvrir et réitérer leur triste écoulement.

« Je m'appelle Jack. Jack Lauwrence. Qui es-tu ? »
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Eleanor Des Oraisons
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MessageSujet: Re: Mi-ré-oir [PV]   Mi-ré-oir [PV] EmptyMar 1 Fév - 19:58

Il y a longtemps que le miroir ne proposait plus de pacte à Eleanor Des Oraisons. Croire que cette trêve le rendait inoffensif tenait toutefois de l’erreur. L’esprit humain, ah, quelle faible chose! Si aisément corruptible lorsqu’on se donnait la peine d’attendre. Le miroir l’avait comprit. La jeune Des Oraisons allait céder un jour, cela ne faisait aucun doute. Elle pouvait sacrifier ce que son cœur chérissait le plus en ce monde pour Jade, ce frère tant adulé sans qui elle ne saurait vivre. Ce frère qu’elle défendrait par tous les moyens alors qu’elle devait être davantage protégée que lui. Le miroir le savait. Par conséquent, il berçait son âme de belles paroles, chaque rencontre le rapprochant du moment où il s’approprierait sa vie, son existence toute entière! Le moment venu, ce sera Eleanor qui viendra le supplier d’accepter son marché, et il le fera, fou de jubilation, ne laissant derrière la jeune Des Oraisons qu’un maigre reflet d’elle-même.

Ela ne se doutait pas que son esprit pouvait contenir une faille. Elle ne se considérait ni faible, ni forte. Elle suivait un parcours auquel elle n’avait jamais cherché à se dérober. À croire qu’elle grandissait en suivant un long fleuve tranquille. Du moins, jusqu’à l’arrivée de Blanche d’Esterel. Dès le commencement, Ela lui en voulu d’aimer son frère. Comment osait-elle s’immiscer entre eux ? S’accaparer son frère sans le connaître ?! Impensable. Inacceptable. Ela était la seule à connaître Jade! Comment Blanche saurait de quelle manière le réconforter ? Les craintes d’Ela se justifiaient par la peur de perdre sa place. Pendant si longtemps, Jade et Ela partagèrent tout, et voilà que petit à petit, sans savoir comment ni pourquoi, Jade avait changé. Pensées déchirantes, venimeuses. Oui, venimeuses… Les veines d’Ela n’avaient rien de bleues, elles étaient mauves de jalousie. De Blanche, que son frère regardait même après sa trahison. Et d’Ailin, si jamais Jade venait à apprendre son existence. Son âme hurlait en silence, laissant soin à son violon d’exprimer au mieux tous ses sentiments refoulés.

Quelque chose vint troubler sa musique. Ela ne parvenait pas à savoir de quoi il s’agissait. Les yeux fermés, elle poursuivait sa mélodie, sa longue chevelure d’ébène ondulant au rythme des coups d’archet. Crescendo. Le son montait dans l’air, toujours plus haut, encore plus haut. Il en toucherait les étoiles, s’il le pouvait. Ela tint la note et s’arrêta sec afin d’ouvrir les yeux devant ce qu’elle devinait être une présence humaine. Voilà ce qui avait perturbé la fin, quelqu’un était entré. À sa vue, Ela cru d’abord à une mauvaise plaisanterie du miroir. La jeune fille ressemblait à une sirène hors de l’eau, manquant d’air, le regard incertain. Ela jeta un regard accusateur au miroir. S’il pouvait faire résonner sa voix au creux de son sommeil, il pouvait certainement s’adresser de la même manière à la jeune fille sans qu’Eleanor en entende une seule bribe.


« Je me nomme Eleanor Des Oraisons. »

Ela risqua un pas vers Jack dont elle ne souleva pas l’étrange résonnance du prénom, songeant qu’il devait y avoir là une signification que Jack seule devait connaître.

« Quelque chose ne va pas ? »

Teint pâle, regard vide, visage légèrement brouillé. Eleanor fit un autre pas vers l’avant pour reculer aussitôt son pied nu au contact d’une flaque d’eau glaciale.

« Mais… Tu es trempée! »

D’où venait-elle ? À cette de la nuit, certainement pas des douches. Affolée de la seule option restante, Eleanor plaqua une main sur ses lèvres.

« Tu étais en dehors du château. »

Quelle folie! S’était-elle égarée en chemin ? Pourquoi ne pas aller directement à l’infirmerie ? Ela lança un nouveau regard suspicieux au miroir qui, muet, ne faisait que refléter la silhouette élancée de Jack face à la sienne. Souvent, il était venu à l’idée d’Ela qu’à l’intérieur du miroir se cachait une âme de ce qui avait de plus humain. Un sorcier si mauvais qu’on l’emprisonna pour l’éternité dans la glace. Le miroir ne lui avait d’ailleurs jamais donné de réponse claire à ce sujet.

« Est-ce que je peux faire quelque chose pour toi ? Veux-tu que je t’accompagne jusqu’à l’infirmerie ? »

Que pouvait-elle faire d’autre ?
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MessageSujet: Re: Mi-ré-oir [PV]   Mi-ré-oir [PV] EmptyMer 16 Mar - 19:50

Que faire, lorsque nous sommes confrontés à nos désirs les plus profonds ? Ceux enfouis dans les tréfonds de l'âme, que l'on enterre dès leur éclosion, car il est évident que jamais leur réalisation ne parviendra à terme ? Que faire lorsque ceux-ci se réveillent et manifestent une possibilité de concrétisation ? Jack se contenta de s'en détourner, de naturellement fermer les yeux. Sa longue silhouette, trempée des larmes du ciel, s'était esquivée de l'étreinte mentale du miroir ; pourtant, la jeune femme ressentait encore à cet instant, la pression dévorante, la crainte exaltée, l'envie psychédélique, dont elle avait été la proie face à la glace.

– Enchantée, Eleanor, réussit-elle néanmoins à articuler.

Sa voix demeurait rocailleuse, androgyne, grave sans l'être assez pour se qualifier de « masculine ». Elle vibrait, à la fois d'anxiété et de froid. Ses lèvres figées se tordirent d'un sourire, et par ce mouvement retrouvèrent leur mobilité jusqu'alors égarée. Tournée vers l'exquise Eleanor, elle feignit d'ignorer son bras gauche tressautant nerveusement en direction du reflet ; d'une main ferme l'empoigna et lui intima l'inertie. Elle retint de peu un sourire bien plus large face à l'affolement conséquent d'Eleanor, lequel n'aurait probablement pas convenu à la présente situation. En aucun cas elle ne souhaitait le départ de la jeune femme, qui découlerait d'un immanquable offusquement. Sa compagnie lui était bénéfique, la berçant d'illusions ; ne reprenait-elle pas ainsi des couleurs, elle que le poids de la maladie prenait plaisir à étouffer ? Et se pouvait-il qu'il existe réaction plus favorable à la guérir que celle animant son interlocutrice à cet instant ? De l'avis de Jack, et elle se savait pourtant de mauvaise foi, certainement pas. Qu'il était bon – triste – d'inquiéter ainsi un personnage d'apparence aussi innocente que raffinée, personnage qui jamais plus ne croiserait son chemin le temps venu ! Mais qu'importait ?

– Ne t'inquiète pas, poursuivit Jack, d'un ton qu'elle voulut tranquille à défaut de convaincant. Je me porte remarquablement bien, je me suis tout bonnement... endormie dans la forêt. Rien de grave n'en résultera, je te le promets. Et je ne voudrais pas importuner l'infirmière à cette heure de la nuit.

Cette dernière phrase, à l'inflexion volontairement facétieuse, eut le mérite d'alléger son humeur ; elle se sentit soudain ragaillardie par ses propres mots, comme alors auto-persuadée. Elle aurait bien illustré ses propos de quelque marche assurée, si dès le premier pas sa chute n'aurait pas été indéniable. Fort heureusement, Jack n'était pas encore assez inconsciente pour exécuter ledit pas, et se limita à l'immobilisme, semblable à celui du miroir la narguant.

– Tu es remarquablement douée. Joues-tu d'autres instruments ? Comment t'es-tu instruite ?

Les interrogations avaient brûlé ses lèvres dès son entrée, et désormais, elle ne les réprimait plus. Leur fonction, outre celle d'assouvir sa curiosité, était de retenir – de façon désespérée, certes – la des Oraisons. Des Oraisons... Où avait-elle déjà entendu prononcer ce nom ?

– Ne serais-tu pas... La soeur de Jade des Oraisons ? J'ai... perçu une conversation à son propos. Et inexplicablement retenu son nom. Est-ce bien cela ? Es-tu bien sa soeur ?

En vérité, Jack avait surpris la discussion dans le dortoir des Plumentines, le soir de son entrée à l'université. Deux jeunes filles murmuraient, installées près de la fenêtre ; Jack écouta malgré elle les bribes lui parvenant, parmi lesquelles ce Jade se voyait nombre de fois cité. Le corps-même de ce conciliabule lui échappait, mais rapidement elle en saisit des mots durs, crachés. Ainsi donc, Eleanor était la soeur de ce personnage dont les étudiantes avaient si fiévreusement dépeint les agissements ? Quel hasard presque lugubre.

– Et puis... bafouilla-t-elle, le visage empreint de fatigue, les joues rougies par la fièvre. Quel âge as-tu ? Quelle est ta filière ? Pardonne mes questions, d'avance.

Parler, parler afin de ne pas se soustraire à l'attraction qu'exerçait le reflet sur elle ! Parler, badiner, autant que possible, afin d'omettre l'existence de ce même reflet, d'oublier sa présence en cette pièce, le souvenir de l'image renvoyée par la glace... Ses épaules à l'ossature gracile s'affaissèrent. Son soupir fut lourd, les sons de sa chute étouffés ; telle évanouie, elle s'adossa contre ce pan de mur et s'assit à même le sol.

– Ne voudrais-tu pas t'asseoir ? demanda Jack, relevant les yeux sur son interlocutrice, qu'elle espéra non désarçonnée par ce comportement étrange voire inédit.

Jack pouvait partir. Se redresser, se traîner à son lit, s'endormir. L'expérience n'aurait été au final qu'un évasif souvenir au matin, comme l'ombre d'un rêve qui déjà s'effrite. Elle pouvait partir, elle aurait tout à fait pu. Elle ne le fit pas.
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Eleanor Des Oraisons
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MessageSujet: Re: Mi-ré-oir [PV]   Mi-ré-oir [PV] EmptyMer 20 Avr - 15:14

Réminiscences d’enfance. Des perles d’eau salée ruisselant sur ses joues rosies par l’agitation, le corps bercé par les murmures rassurants de sa mère. "Chuuut... Là, ne t’inquiète pas Ela, maman va bien, ce n’est qu’une petite coupure." Réminiscences d’adolescence. Un frère à l’âme éclatée, au cœur suicidé. Un regard fraternel empreint d’anxiété auquel il répond avec douceur. "Ne t’en fais pas pour moi, je serai vite remit sur pied." Trahissait-elle tant de fragilité, pour que chaque être cherche à l’épargner de tout tracas ? Quelle était cette chose – si nom on pouvait lui donner - au creux de son regard, au-delà des apparences, qui incitait tant à ce qu’on la rassure ? Les étrangers la ressentait, eux aussi. Une force mystérieuse l’enveloppait. Une fée s’était-elle penchée au-dessus de son berceau pour la gratifier de sa malédiction ? Pourquoi lui refusait-on le droit de se faire du souci ? Les gens cherchaient à la rassurer elle, tandis qu’ils souffraient, eux. Eleanor Des Oraisons, synonyme de vulnérabilité ? Elle y songeait souvent. On ne remportait pas des guerres en jouant de la musique. Si essence du courage elle était, le sacrifice transpirait la cruauté. Étouffer son angoisse afin d’alléger l’âme des chevaliers, quel triste sort que celui du ménestrel ! Exclue de toute aventure, elle raconterait les exploits d’autrui du haut de sa tour d’argent, au-dessus des nuages, là où le dragon ne pouvait l’atteindre alors qu’à ses pieds, même le roi combattait.

« Mes parents virent la nécessité de m’initier au monde de la musique dès mon plus jeune âge. Ils eurent raison, j’en suis tombée amoureuse. Je sais jouer de plusieurs instruments, oui ; flûte, piano, guitare et violon. »

Ela glissa affectueusement ses doigts sur l’archet, en proie à un sentiment qu’elle ne pouvait lier à autre chose qu’à la mélodie qui émanait de son contact habile avec les cordes. Sauf à Jade, que Jack venait d’évoquer, provoquant une vive réaction dans le regard d’Eleanor. Une myriade de reflets d’argent croisa de l’or.

« Jade est bien mon frère. Mon aîné de trois ans. »

Une palpable fierté se détectait au son de sa voix. Parce qu’on la reconnaissait comme la sœur de Jade Des Oraisons. Noyée dans son orgueil, Eleanor ignorait le mal qu’elle s’octroyait en se complaisant dans l’ombre de son frère. Avec lenteur, elle s’agenouilla près de Jack et déposa une main délicate sur le front de cette dernière. Le rouge aux joues ne mentait pas. Jack, si.

« J’ai vingt-deux ans. J’étudie en Énergie magique. Et toi ? Raconte-moi. Tu as de la famille ? Des amis ? »

Eleanor s’éloigna et fit face au miroir une brève seconde. Elle détacha habilement le rideau de velours qui l’entourait afin de couvrir les épaules de Jack dont le corps frissonnait. L’emprise sournoise de la fièvre pouvait être apaisée. Ela devait la faire parler, changer le mal de place. Suite à la requête de Jack, elle se laissa glisser le long du mur à sa rencontre, à hauteur du parquet, les jambes repliées vers elle. Ela ne pouvait pas la quitter. Pas dans cet état. Aussi longtemps que faire se peut, aucune question supplémentaire ne serait posée à Jack, que ce soit sur ce qu’elle faisait seule en forêt à son refus de se faire soigner malgré l’heure tardive. Ela se jura de faire abstraction de son inquiétude. La discrétion constituait à la fois une force et une faiblesse de la jeune russe. Elle se taisait là où la sollicitude s’avérait déplacée, préférant attendre qu’on se livre à elle. En revanche, elle restait muette lorsqu’une personne espérait qu’elle demande. Oser entraînait parfois de bien fâcheuses conséquences qu’elle ne se sentait pas prête à affronter. Pas par crainte, mais par respect pour l’harmonie. Ela n’était pas armée pour gérer les conflits, Le miroir en reflétait la réalité.

Dehors, le vent grondait contre les pierres du château. Quelle étrange force de la nature que ce vent si prompt à une caresse, néanmoins prêt à se retourner à tout instant pour mordre. En l’entendant rugir, Ela se recroquevilla telle une petite fille, ses bras enlaçant ses jambes dissimulées sous sa nuisette, aux côtés de Jack. Dès que le soleil se couchait, le vent perdait tout son charme, se transformant en menace invisible. Encore cette bonne vieille inquiétude. La flamme de la bougie remuait à peine. Eleanor s’étira pour la ramener vers elle. Un sourire se dessina à la commissure de ses lèvres. Elle écarta les doigts de sa main gauche, courba son majeur sur la deuxième phalange de l’index en parallèle au pouce et pointa l’annulaire et l’auriculaire vers le ciel.


« Regarde. »

Une ombre chinoise en forme de loup, avec de longues oreilles, se dressait sur le haut du mur.

« Lorsque je m’éveillais en plein cœur de la nuit, ma gouvernante faisait un théâtre de ses mains afin que je puisse me rendormir paisiblement. »

Un souvenir enfantin, précieux, aux allures futiles. Eleanor ne savait faire que cela, évoquer les rêves et l’imaginaire.
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