Deux gouttes d'essence de belladone, une douzaine de feuilles d'une plante tropicale dont le nom était imprononçable et quelques tours de louche ( dans le sens inverse des aiguilles d'une montre est -il besoin de le préciser ?) et la potion sera bientôt prête
La jeune fille, toute de blanc vêtue, les manches relevées et les cheveux noués en longues nattes attachées par de jolis rubans brodés observait avec un certain contentement la fumée épaisse et violette qui émanait du chaudron sur lequel elle était penchée un instant plus tôt.
Voilà plusieurs mois qu'elle n'avait pas eu l'occasion de poursuivre ses essais, ni de pouvoir se consacrer seule dans une salle de travaux pratiques à une activité extra-scolaire sans qu'on ne l'interrompe ou que sa demande d'autorisation d'utilisation du matériel de préparation de potion ne lui soit refusée.
De l'autre côté de la table de travail, un autre chaudron où un liquide sirupeux bouillonnait paisiblement laissait échapper une fumée bleue et diffusait une odeur sucrée et presque écœurante d'un mélange de vanille et de plantes anisées.
Au milieu, l'étudiante en santé magique s'affairait entre ses deux chaudrons et découpait une sorte de pâte transparente et bleuâtre aux reflets dorés en petits cubes réguliers.
Soudain, des bruits de pas se firent entendre et résonnèrent un peu plus fort à chaque instant dans le couloir qui longeait la salle laissant deviner que quelqu'un s'approchait. Sans doute un membre du personnel pensa la jeune fille au vu de l'heure tardive de l'après-midi, les cours n'étant pas encore finis et l'heure de la sortie des classes n'était pas encore arrivée.
Relevant le nez de la planche à découper au-dessus de laquelle elle s'affairait, elle poussa un soupir inquiet et entendant les pas se rapprocher encore plus de la porte de la salle, appréhendant d'avoir encore à répondre à un professeur ou à un membre du personnel qui lui demandera surement encore une fois de plus ce qu'elle faisait ici seule et si elle en avait l'autorisation.
Mettant rapidement de l'ordre dans son matériel dont les ustensiles de cuisine et de confection de potion jonchaient le plan de travail dans un joyeux fouillis aussi peu ordonné que la maisonnée d'une famille entière de goule et, toute à son effort de rendre la partie de la salle qu'elle occupait un peu plus présentable elle n'entendit même pas l'inconnu entrer et sursautât quand il prit la parole, laissant échapper un ustensile de pâtisserie qui vint s'écraser au sol en provoquant un bruit métallique perçant qui couvrit son exclamation de surprise.
- Tu as trouvé une recette miracle pour attirer les amateurs de sucre à cent mètres à la ronde, je m'étonne d'ailleurs d'être le seul présent.
La phrase, teintée d'humour, avait été prononcée par un étudiant qu'elle connaissait maintenant depuis de nombreuses années.
C'est donc un soupir rassuré qu'elle poussât tout en ramassant son mousseur à manivelle quand elle reconnut la figure familière et souriante de celui qui s'était adossé à l'entrée de la salle sans qu'elle ne l'entende entrer.
La surprise maintenant passée, elle réalisa soudain ce que cet invité-surprise venait de lui dire, un sourire amusé vint aussitôt éclaircir son visage tandis que son rire résonna dans la salle.
Son ami n'était pourtant pas connu pour son sens de l'humour, mais il avait un certain sens de la formule, le plus souvent tinté de sarcasme, et savait souvent tourner ses réflexions en traits d'esprit.
Riant encore à demi elle lui répondit malicieusement tout en faisant le tour de son plan de travail, jetant au passage un coup d'œil à chacune des potions qui y mijotaient afin de s'assurer qu'elle pouvait les abandonner quelques instants et rejoindre le Dorelly.
- Oui, j'essaye encore de trouver une potion pour attirer le prince charmant, mais apparemment elle n'a toujours pas l'air au point !