S.W.Y.N ¤ Someone Wants You Nuts ¤
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 C'te forêt qui flotte [Jack]

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Jude Okamoto
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Jude Okamoto



 
▌Né(e) le: 23 septembre
▌Pays d'origine: Micro-Japon en Angleterre
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MessageSujet: C'te forêt qui flotte [Jack]   C'te forêt qui flotte [Jack] EmptyJeu 3 Mar - 18:50

Il avait cru que c'était de la soupe. Courbant l'échine, il avait humé le liquide verdâtre contenu dans le récipient et en avait déduit que ce n'était, finalement, pas de la soupe. Ça sentait la boue et l'herbe mouillée. Ça sentait la nature, mais de cette nature vaseuse du marais. C'est ainsi qu'il s'était résolu à lire le mot qui accompagnait le colis.

Hey Jude

Il avait dû interrompre sa lecture. Elle commençait toujours tout ce qu'elle lui adressait par écrit de cette façon. Souhaits d'anniversaire, voeux de Noël, listes, mémos sur le comptoir, lettres... Tout. À se demander, parfois, si elle n'associait pas systématiquement son prénom au Hey. Oralement, c'était pareil. Elle ne disait jamais « Bonjour Jude », « Hello Jude », « Salut Jude », « Coucou Jude ». Elle disait : Hey... Jude. Et combien de fois l'avaient-ils chanté, son prénom, à l'issue d'une soirée trempée dans le vin et parfumée aux herbes plus ou moins clandestines... Ils l'avaient chanté, eux tous, Japonais, Anglais, Français, Danois, Australiens, Canadiens, Américains, Espagnols de passage... se tenant par les épaules et voguant d'un pied à l'autre, à peu près en harmonie. Heeeeey Juuuude... Et Jude, impassible devant cet énième spectacle de ses parents et de leurs disciples, levait les yeux un instant, avant de s'en remettre à son livre, à ses céréales, ou avant de tout simplement aller se coucher. Il n'avait jamais chanté avec eux. Et un jour, observant sa mère, ses pommettes hissées sur son grand sourire, ses longs cheveux noirs se balançant devant ses éternels bourgeons de seins, il croyait s'être souvenu l'avoir entendue, à sa naissance, entonner, d'une voix éraillée mais tenace : Hey Jude...

J'ai cru que vous vous entendriez bien. Il est aussi tranquille et ennuyant que toi! Je plaisante. Mais ne le mange pas. Je ne plaisante pas.
Lili.
P.S. Il n'aime pas l'eau propre et se nourrit de ses semblables.


Ce n'était pas de la soupe, mais l'habitat d'un poisson. Et quel poisson. Lorsqu'il lui vit la tête, Jude haussa non pas un, mais bien les deux sourcils dont la nature l'avait heureusement doté. La créature, en plus des deux troublants yeux qu'elles portaient de chaque côté de sa tête, en possédait un troisième, et un quatrième, de part et d'autre de l'épais aileron qui lui barrait le dos. Troublant, ce quatuor de yeux, pour la ressemblance avec le regard humain. Le spécimen avait regardé Jude et lentement cligné de ses quatre paires de paupières, un oeil à la fois. Puis avait replongé dans son petit aquarium, pour reprendre son manège et tourner en rond. Jude l'avait observé un moment, les mains sur le bureau, la tête au-dessus de la niche de son nouveau compagnon. Cependant on n'y voyait rien qu'une silhouette floue. Et il songea, bientôt, qu'il faudrait se procurer de quoi le nourrir, ce beau présent. La pensée suffit à le décourager. Il se leva et quitta le bureau pour rejoindre la fenêtre.
Il faisait un temps à libérer les poissons.

Le prisonnier en sursis et sa vieille eau transvidés dans un seau, Jude sortit, dès qu'il eut enfilé par-dessus son t-shirt un vieux veston de velours côtelé rougeâtre et négligemment enroulé autour de son cou une écharpe. Lentement il progressa sur le terrain de l'université, les idées au vent, une main somnolant dans la poche de son jean, l'autre berçant son protégé au rythme de ses pas. Il avait pensé au lac, comme eau d'accueil, mais il ne le trouvait pas suffisamment opaque. L'eau en était trop claire, le poisson risquerait de déprimer. À quoi bon tous ces beaux grands yeux s'ils n'étaient pas dûment employés, à leur plein potentiel...
C'est pour la forêt qu'il opta. Il espérait y trouver un marécage. Le pas aussi leste qu'il l'avait été dans les couloirs de Swyn, le professeur s'engagea dans ce labyrinthe naturel. L'obscurité qui y était maitresse contrastait avec l'arrogance du soleil. Il prit un temps à s'adapter à la noirceur, mais ne ralentit pas pour autant. Jude se baladait. Sourd aux craquements des branches comme aux bruissements soudains des feuillages, aveugle aux empreintes qu'il enjambait, il pensait à son dîner. Il devait bien lui rester quelques onigiris qu'il gardait pour ces jours où il n'avait pas envie de descendre à la grande salle. Ces jours-là, il s'installait à l'observatoire - s'il n'y avait personne - ou dans sa salle de classe, se débarrassait du toit et mangeait sous le ciel. Riz, saké, cigarette. D'une extatique simplicité. Repu, il s'étendait sur le sol et courtisait en silence les étoiles. Très souvent il s'endormait ainsi. C'est peut-être ce qu'il ferait ce soir.

Toujours pas de marécage en vue. Il faut dire qu'il avait cessé d'y songer. Le poisson était-il mort? Ah non. Pas encore. Infatigable, il recommençait le même circuit dès qu'il avait complété un tour, laissant voir, parfois, à la surface de l'eau, son aileron à yeux. Mieux valait ne pas trop le regarder, autrement c'est lui que Jude verrait, plus tard, dans son assiette, et non pas du saumon. Si seulement un marécage pouvait tomber du ciel...
Facile. Il avait la forêt de son côté. Entre deux arbres, elle venait de lui dévoiler une belle grosse mare rassasiée d'une eau brunâtre, stagnante, parfaite. Traversaient l'étendue bourbeuse les très larges et nombreuses racines d'un arbre bas cependant au tronc excessivement large. Peut-être rêva-t-il mais, Jude crut sentir le poisson s'agiter dans son seau. Ne tournait-il pas avec plus entrain? L'astronome s'approcha de l'eau et s'accroupit à son bord.

« Regarde-moi ce palace... Aller, salut. »

Et le poisson, avec son eau, fut déversé dans sa nouvelle demeure. Il tourna en rond quelques secondes, puis disparut en s'éloignant d'un coup de nageoires.
Ici, le soleil, téméraire, était parvenu à percer, de quelques timides rayons, la toiture de la forêt. Avisant la courbe d'une racine, doublée du dossier que représentait le tronc, Jude jugea qu'il avait trouvé un coin intéressant. Oubliant son seau derrière lui, il s'installa sur la racine comme sur un fauteuil, dos contre l'arbre, jambes étendues devant lui. De l'intérieur de sa veste, il tira un petit livre et se dit qu'il était bienheureux d'avoir été doté, en plus d'une mère, d'un père. Quelle chance. Posant la main sur la couverture recourbée du recueil, il interrompit son geste. Ça lui sillonnait l'avant-bras, pâle, le souvenir de l'Ouroboros. Comme une carte dessinée dans sa chair. Le remord lui avait traversé l'esprit, au sortir de l'infirmerie. Peut-être aurait-il dû rester, et attendre. Alors, il aurait pu oublier sans que rien ne le lui rappelle plus tard. Mais face au souvenir du tête-à-tête enfumé avec une supernova qui avait suivi cette fuite, le remord repartait avec son ombre et Jude avait les idées tranquilles.
Il ouvrit son livre au hasard.
Sous les fleurs d'un monde flottant
avec mon riz brun
et mon saké blanc

Il céda un sourire, en appuyant sa tête contre l'écorce de l'arbre. Ses bras s'affaissèrent sur ses jambes et ses mains se couchèrent sur les pages. Jude ferma les yeux. Il allait dormir.

Lorsqu'il s'éveilla, la lumière que filtrait la forêt n'était plus blanche, mais orange. Content, malgré l'air quelconque qu'il affichait, il rangea le recueil qui avait sagement dormi avec lui, et porta à ses lèvres une clope, qui s'alluma dès qu'il en aspira une première bouffée. Il lui sembla être assis non pas dans une forêt non recommandée, mais enchantée. Une forêt folle de conte pour enfants. Avant qu'elle n'enfile sa sombre cape et ne révèle sa vraie nature, c'était un visage clair-obscur, fait d'une semi-noirceur et constellé d'éphélides étincelants, qu'elle dévoilait. Jude songea que de cette forêt-là, il pourrait bien tomber amoureux.
Il aspira de plus belle, tenant le tube de papier entre le pouce et l'index, et plissa les paupières derrière le brouillard qui s'écoula d'entre ses lèvres. Accio saké? Il n'eut même pas la paresse de le penser. Plus tard... Plus tard, il trinquerait avec les étoiles.
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MessageSujet: Re: C'te forêt qui flotte [Jack]   C'te forêt qui flotte [Jack] EmptyDim 27 Mar - 16:16

Elle s'était réveillée au son régulier – voire frénétique – d'un bec contre le carreau. Derrière celui-ci, sali de pluie et de poussière, un hibou qu'elle reconnut non sans mal la toisait, furieux que sa propriétaire se soit tant faite attendre. Elle-même agacée de voir sa sieste écourtée, c'est sèchement qu'elle retira la lettre nouée à sa patte. Une enveloppe propre quoique froissée, renfermant en son cœur un papier plié en quatre qu'elle ne s'empressa pas d'ouvrir. L'écriture étroite, de ceux qui ont la main fébrile, de ceux qui sont mieux habitués aux notes de musique qu'à l'alphabet. Un paragraphe, deux paragraphes, sur le quotidien d'une famille en apparence lambda, qu'elle ne lut qu'en diagonale. Elle ne prêta aucune attention aux multiples taches d'encre, ne s'en formalisa pas, imaginait son frère réfléchir à ses mots sans s'apercevoir, distrait comme à l'accoutumée, de la bavure noirâtre s'étendant sur la page. Il aurait ensuite paniqué devant telle étourderie, tenté de l'étouffer mais ne l'élargissant que d'autant plus. Elle omit également la marque d'une tasse, sur le haut de la feuille ; café, probablement. Elle perçut sous ses doigts le sucre roux dont il avait dû se bâfrer en écrivant la missive, découvrit un cil blanc perdu.

Jack, maman te fait savoir que mardi prochain, ce sera charlotte à la framboise. Elle demande si, puisque tu n'en mangeras pas, elle peut donner ta part à Madame Higgins ? Et elle précise qu'Alexandre va venir manger, aussi. Et qu'il ne faut donc pas espérer te désister parce qu'elle rappelle que c'est l'anniversaire de papa. Sinon, pourrais-tu me ramener de ces friandises, tu sais, les bonbons que tu as apporté la dernière fois ?

Jack hocha la tête, évasive, sans elle-même en connaître la raison. Peut-être une réponse muette mais imperceptible à la demande juvénile de Ruby. Échange de banalités. Il cherchait à noyer le poisson de son mieux, comme l'enfant qu'il avait toujours été, les années qui passent n'importent et ne le changeront pas. Comme un enfant veut protéger le peu de choses qu'il possède encore. Elle se redressa. Le dortoir, dépourvu d'animation autant que d'humanité, l'oppressait. Le hibou, baptisé Shakespeare, pour son étonnante capacité à dramatiser chaque situation, la suivit d'un regard qu'elle jugea sceptique. Elle l'intima au silence, étala sur sa couverture le contenu d'un paquet de biscuits beurrés et lui faussa compagnie. Arpentant les couloirs, tristes et austères, de ses pieds nus et blêmes, elle s'efforça difficilement de poursuivre sa lecture. Ses yeux, en les survolant, donnaient un sens aux mots, indéchiffrables car dépareillés.

P.S. : Tâche de ne pas mourir.
P.P.S. : « J'aimerais que la terre s'arrête pour descendre. »


Cette folie douce avait toujours habité son frère. Jack la qualifiait d'amère, mais probablement était-ce un euphémisme puisque exprimé par sa bouche et formé par ses lèvres. Elle aimait cette sage et paisible dégénérescence, autant qu'elle pouvait s'en attrister, les jours sombres. L'éclat d'un soleil endormi la fit émerger des songes obscurs dans lesquels elle s'enferrait jusque là ; elle s'aperçut, modérément confuse, que ses pas l'avaient menée à l'extérieur du manoir. Les nuages, irréelle substance grisâtre, se faisaient rares, en ce mois de mars désagréablement tiède. Ils bordaient, somnolents, l'astre solaire rougeoyant et s'apprêtant à disparaître derrière une plaine lisse. « Bonne nuit », eut-elle envie de lui souhaiter. N'était-il pas son comparse ? Rose l'appelait le Vilain Soleil, depuis leur plus tendre enfance, suite à une bête querelle sans fond ni forme comme peuvent en avoir des enfants. Jack la rebaptisait la Lune Rousse. La lune et le soleil, opposés mais amants. « Amies » corrigeait Rose à chaque fois que quelqu'un y faisait référence. Jack approuvait. Rose demeurait, à ses yeux, bien trop insupportable pour qu'elle puisse concrètement l'apprécier.

Elle se dirigea, le rythme lent, comme un slow inachevé, vers la lisière de la Forêt, où elle s'enfonça sitôt atteinte. Elle avait depuis un certain temps perdu le compte des nuits passées en son cœur. Une forêt dans laquelle le loup et l'ours n'avaient pas leur place en tant que rois. Une forêt logeant des créatures dont jadis elle n'aurait jamais soupçonné l'existence. Une forêt, donc. Y pénétrant, soudain transportée d'une quiétude que jamais elle ne connaîtrait en présence de ses pairs, elle se plut à tâter les arbres, à en embrasser les feuilles naissantes, à flatter les bourgeons des fleurs timidement apparues. L'herbe était par endroits grasse et verte, d'autres brune et sèche, et lui donnait envie de s'y étaler, s'y rouler, s'y endormir. Comme la petite fille qu'elle ne se souvenait pas avoir été un jour. Sa longue jupe noire, vaporeuse, caressait de ses pans froissés, à chaque mètre parcouru, le dos de ses pieds désormais boueux. Son haut brun dévoilait un ventre aussi pâle que l'hiver, le manteau de laine sombre négligemment porté, non boutonné, lui seyait mal, comme suspendu à un mannequin figé. L'épais rideau de boucles se déployait sur ses épaules, dans son dos, encadrant son visage opalin et sa poitrine menue. Les lèvres rougies et gonflées par le froid rappelaient, ainsi dessinées sur cette figure trop blafarde, deux hématomes disgracieux et sanguins.

Sa procession était entrecoupée de nombreuses ellipses durant lesquelles elle s'immobilisait un instant, afin d'écouter le bruissement des feuilles, le piaillement des oiseaux et les hurlements bestiaux dans le lointain. Elle se fiait aux sons pour s'orienter correctement. Un clapotis aqueux attira son attention jusque là indolente, et ses larges enjambées la guidèrent à la source du bruit si plaisant à son oreille – musicale, rappelons-le. Un marécage. A la déception – baignade impossible – fit place le pragmatisme – et si elle pêchait ? – puis le désappointement – aucune connaissance en la matière. Mais ce fut la fatigue, tant physique que mentale, qui triompha au milieu de ce patchwork d'émotions. Elle se mit en quête de l'endroit idéal. L'endroit où l'alcool de ses yeux s'égarerait dans l'eau de ses rêves. L'endroit où le whisky céderait au sommeil de l'ivrogne. Et puis, il y eut la constatation. Cet élément détonnant avec le décor. Perturbant le décor. Tache rouge. Elle s'en approcha, le pas méfiant, la baguette rigide et brandie. Les rétines myopes, les paupières bleutées plissées.

C'était un humain.

Un humain endormi. Installé dans la courbure d'une racine, endormi. Les cheveux rouges, un veston de même teinte. « La tache rouge ». Endormie. Jack s'assit aux côtés du corps inactif, attentive. Un homme. La quarantaine. Que pouvait-il bien faire ici ? Qui était-il ? Elle effleura du regard la longue silhouette. Il était grand.

Elle le contempla ainsi, jambes étendues devant soi, mains noyées sous la terre meuble. Les minutes s'écoulèrent, le soleil déclina. Bientôt la nuit tomberait. Nuit angoissante mais amie. Elle aimait l'obscurité. L'homme commençait à remuer. Son index était agité d'un tic nerveux. Ses cils papillonnèrent. Il se réveilla. Il rangea le recueil de poésie, alluma une cigarette. Il ne la vit pas. Elle l'observa, principalement préoccupée par la tige de tabac entre ses doigts. Son ventre se contracta douloureusement lorsqu'il la porta à nouveau à sa bouche. Jack décida de mettre fin aux doutes.

– Bonsoir. Qui êtes-vous ?

Quelques mots, bas mais audibles. La paume hésitante, le poignet gracile, elle lui subtilisa fort peur subtilement une cigarette ; mais le geste était tremblant, la sèche lui échappa deux fois. Elle pinça le filtre pour qu'il ne défasse plus de son emprise.

– Je peux ?

Sa fragrance alourdissait l'atmosphère sans qu'elle ne le sache. Un parfum, le parfum de sa peau, à l'intensité redoublée par l'humidité forestière. Une senteur de miel. Miel de châtaigner. Lavande. Cannelle.

– Que faites-vous ici ?
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Jude Okamoto
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MessageSujet: Re: C'te forêt qui flotte [Jack]   C'te forêt qui flotte [Jack] EmptyMer 30 Mar - 17:52

Qu'ils étaient blancs, ces pieds. On aurait dit que le ciel les avait neigés. C'est parce que le sol était noir, qu'ils étaient si blancs. Et le sol, il était si noir parce qu'ils étaient si blancs. Et puis quoi, et puis bon. Jude haussa imperceptiblement les épaules en soufflant dans l'air des ombres grises qu'il regarda se détendre, s'étirer, en des formes mouvantes et sans nom. Il avait vu les pieds, d'abord. Ce n'est que quelques secondes après qu'il avait éprouvé la curiosité de les associer à une marcheuse. Une intuition.

- Bonsoir. Qui êtes vous?

Les chevilles, la jupe qui s'étend, qui se confond à la terre, le ventre, de neige aussi... Il baissa les yeux, fit tomber les cendres de la cigarette et suivit leur lente descente du regard. Il les perdit de vue, s'en remit à la marcheuse, qui par ailleurs lui avait parlé. Qu'avait-elle dit, déjà?
Son visage. Il ne le connaissait pas, pas celui-là. De loin, de près... non. Il ne lui inspira aucun souvenir. Ce qui, somme toute, fut loin de lui déplaire. Bonjour l'inconnue. C'était peut-être la forêt, qui l'avait inventée. Peut-être qu'il dormait encore, peut-être qu'il hallucinait. Très réussi, comme délire, se félicita-t-il. Les cheveux, par exemple, étaient biens. Ils donnaient envie de les peigner avec les doigts, rien que pour voir.

- Jude.

Okamoto, professeur d'astronomie. Gloups. C'était tombé dans le marais, avec le poisson à deux regards. Il crut même les y voir disparaître, les mots, devant quelques éclaboussures, mais n'en dit rien. Il les repêcherait plus tard, s'il ne les oubliait pas tout simplement. De toute façon, ils finiraient par le rattraper, ces mots. Sans eux, il n'y aurait plus de Swyn. Arrivé devant la porte d'entrée, Jude contournerait la bâtisse et poursuivrait son chemin, ailleurs, quelque part où d'Okamoto et de professeur d'astronomie, il n'aurait pas besoin.
D'un discret hochement de tête, il consentit sans réfléchir à lui céder ce qu'elle lui demandait, peu attentif, en vérité, à la requête en question. Il pensait à son bureau. Et à une certaine boîte posée sur une vieille chaise bancale. Il voyait les pans de carton, dans la pièce déserte, s'écarter pour découvrir ce qu'ils cachaient. Cependant le mystère demeurait, car il se trouvait que Jude était incapable de dire s'il lui restait deux ou trois brochettes de mochi. Il ne savait plus. Comment ne pas y penser. C'était comme s'il y était. Comme s'il venait de les couvrir d'une sauce épaisse et chaude. Une sauce au miel. Comme s'il s'apprêtait à les manger, les baguettes claquant entre ses doigts.

- Que faites-vous ici?

Il ne fallait pas y penser. Il saurait, tôt ou tard. Qu'il en reste deux ou trois, il restait assurément plus d'une portion. Ce qui suffirait à le réconforter, amplement.
Il pivota sur son fauteuil improvisé, apprivoisé, apparemment pour faire face à la jeune fille, mais pas vraiment. Il s'appuya, de côté, contre le tronc de l'arbre et, redressant son genou gauche, s'en fit un accoudoir pour son bras du même hémisphère. La cigarette s'en trouva à la hauteur idéale. Il suffisait d'un bref mouvement latéral pour qu'elle touche les lèvres de Jude. Il en sourit d'aise, presque, et tourna la tête vers le marais.

- Hm, échappa-t-il en embrassant le filtre, du bout des lèvres, encore.

Puis il se souvint le poisson. D'où était-il venu, avec son poisson? Possible que ce fut de l'océan. Ç'aurait été logique. Il aurait aimé venir de l'océan, plutôt que de Swyn. Possible qu'il aurait préféré le large à son petit bureau. Qu'il aimait bien, tout de même. Mais... Ici, dans cette forêt, suffisamment égaré en elle pour qu'on n'en distingue plus la lisière, il pourrait être venu de l'autre côté.
Elle lui avait dit : bonsoir. Il leva les yeux vers le ciel. La nuit, le jour, s'embrassaient, pressé l'un contre l'autre, amoureux. Ils s'enlaçaient comme des amants, et bientôt le jour s'effondrerait sous la seule qu'il aimait et pouvait aimer. De leur étreinte, il naîtrait des étoiles.
Facile, songea Jude en quittant des yeux le théâtre des astres. Il revint à cette forêt, à ce marais, à cette branche, à son soulier, dont il barbouilla l'extrémité de plastique blanc avec des cendres, distraitement. Distrait car ayant à l'esprit la fille. Qu'est-ce qu'il lui dirait, à celle qui allait pieds nus?

-Je...

Déjà, c'était un début. Il tira sur le mégot. Il en aspirerait jusqu'au tout dernier grain de tabac.

-Je libère les poissons, lâcha-t-il enfin, d'un souffle, comme un aveu, comme malgré lui, sentant sur sa nuque le poids de la vérité, déçu. Il y avait dans l'ombre d'un arbre, non loin, une histoire, un mensonge qui baissait la tête et tournait le dos. Jude le vit s'éloigner à regret. Il aurait aimé le retenir, mais il se découvrit un manque de volonté flagrant, une paresse généralisée. Il trouverait autre chose. D'ailleurs voici que venait l'oubli, descendu de quelque part, assis sur une branche, jambes pendantes dans le vide, et qui l'observait, lui, Jude, comme une proie. Rasséréné plus qu'il n'y parut puisque rien ne changea réellement dans son attitude indolente, il consentit à son regard de retourner à la fille. Je n'en ai libéré qu'un seul, mais si j'en avais eu plusieurs...

Il était, en d'autres termes, d'humeur à libérer les poissons, d'où sa présence ici. Cela dit il se déracina de son siège, car son dos commençait à faire peser son âge en d'inconfortables courbatures. Par contre il ne demeura pas longtemps debout. Se penchant pour s'asseoir, il vit s'évader de la poche de sa veste son petit livre jaune tatoué, dehors comme dedans, d'idéogrammes japonais.

- Pardon.

Le vieux poète Basho en avait peut-être marre de son actuelle flagrance, trop âcre pour lui, soit l'haleine cendrée de la cigarette et les effluves du thé vert. Jude ne reprit pas son recueil de haïkus, il était tombé sur la fille. Il le croyait entre de bonnes mains, de toute façon. Mais l'homme s'assit tout de même, en tailleur, content de constater que le sol était, de loin, moins dur que la racine. Enfonçant sa main dans la terre, il se salit les ongles en prenant un poignée humide et noire, qu'il laissa aussitôt filer entre ses doigts.

- Je peux vous demander quel est votre pré-

Il ne termina pas sa phrase, interrompu par un objet qui venait de l'atteindre à la tête avant de terminer sa trajectoire devant son propriétaire. Une bouteille de saké blanc accompagnée d'un verre. Jude haussa légèrement les sourcils, mais son visage demeura impassible. Il se massa un instant le crâne, là où il y avait eu collision, et prit la bouteille, qu'il déboucha, puis dont il huma le contenu. Finalement, il y avait pensé. Et plus fort qu'il l'avait cru. Même sa paresse, était devenue paresseuse. Ça lui apprendrait, à lui qui avait tendance à négliger sa baguette magique.
Le pouce sur le goulot, il agita mécaniquement la bouteille, prit le petit verre et tourna la tête vers la fille.

- Ce serait impoli de ne pas vous en offrir, fit-il avec sérieux, prêt à la servir.

Impoli de ne pas en offrir et inapproprié de le faire. Il esquissa un demi sourire. Okamoto, professeur d'astronomie... Un nuage passa.
Sous le toit d'une forêt au jour tombant, il n'y avait que Jude, avec son saké blanc et la fille aux yeux bruns.
Pas exactement bruns. Il y a de la lumière, dans ses yeux, ses grands yeux. Comme des restes de soleil. Le contraire des siens, ces deux fissures au travers desquelles filtre un peu de brouillard, sur fond de quelque verte contrée de quelque coin encore sauvage d'une île vacillant dans les eaux houleuses du Pacifique...

À la santé du Japon...
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MessageSujet: Re: C'te forêt qui flotte [Jack]   C'te forêt qui flotte [Jack] EmptyMar 19 Avr - 22:24

Ses yeux se fermèrent très brièvement, d'abandon, lorsque ses lèvres rencontrèrent le filtre sec. Le sort, informulé, embrasa l'extrémité de la cigarette. Elle inspira. Les songes emmêlés s'ordonnèrent soudain autour de la tige de papier fourrée par le tabac ; elle fut prise de vertiges, s'adossa à l'arbre qu'elle partageait avec l'homme, et contempla les volutes blanches qu'échappait sa bouche entrouverte et bordeaux. Depuis quand, exactement, avait-elle sombré ? Il lui semblait des siècles, cette première fois, initiée par son jeune frère, la veille de ses onze ans. Fou, Ruby, au même titre que sa sœur, si ce n'était plus encore. L'oreille attentive aux paroles de son voisin, cependant, elle appris son prénom. Jude. Y avait-il prénom plus dérangeant à l'écoute ? Un tel prénom, qui lui donnait soudain envie d'entonner le refrain éponyme, ce dont elle ne se risqua pas malgré le peu de raison qu'elle pouvait se vanter de posséder encore. Jude, en vérité, lui plaisait. Des sonorités agréables, une unique syllabe. Une pensée, douce mais amère, l'effleura et elle s'empressa de secouer imperceptiblement la tête devant les inepties que son esprit concevait, afin d'oublier celles-ci au plus vite. L'œil, circonspect derrière le brouillard de havane brûlé, détailla le Jude, mieux en travers qu'en large. Grand, la longue carrure, mais elle le savait déjà ; depuis qu'elle avait frôlé la silhouette de son regard ambre. Une toison écarlate et étonnante, elle se plut à imaginer sa propre chevelure de cette même teinte sans un brin d'amusement. Et des yeux brumeux, dont la couleur de l'iris lui demeurait inconnue pour cause sa grossière myopie, lesquels paraissaient perdus dans des pensées qu'elle ne voulut pas croire si profondes.

– Hm...

Les prunelles, assombries par la nuit tombant, scrutatrices, les doigts blêmes devenus terreux arpentant de leurs jointures déliées le sol noir et meuble, les pieds aussi figés et blancs que pouvaient l'être ceux d'un cadavre, pourtant d'une féérie terrifiante. Le tableau qu'ils formaient, cet homme à la crinière rouge, et elle, telle un korrigan géant immergeant des tombes, au beau milieu d'un décor enchanteur où ils détonnaient, devait se révéler semblable à celui d'un conte pour enfants. Elle eut l'idée de faire apparaître un de ces flacons moldus, qu'elle avait durant son enfance boycotté, ces flacons d'eau savonneuse dans lesquels trempait-on un bâton surmonté d'un anneau de plastique, puis soufflait-on sur celui-ci, et des bulles en résultaient. Jack leur aurait donné vie, les aurait gonflées de sa fumée grisâtre et malodorante, et elles seraient parties explorer la forêt accompagnées d'une magie que même le plus puissant des sorciers ne saurait jamais reproduire. Elle décida de s'exécuter une fois la nuit parfaitement établie.

– Je... Je libère les poissons, finit par avouer son interlocuteur. Je n'en ai libéré qu'un seul, mais si j'en avais eu plusieurs...

Elle se fendit d'un sourire. Un sourire qui, certes, ne dévoila pas ses dents, qui, certes, n'était pas aussi amical que l'on aurait pu penser, néanmoins pas moqueur, Dieu l'en garde. Un sourire qui ne consista qu'en deux coins de bouche incurvés vers le haut. Ni charmant, bien loin d'être charmeur, mais qu'un témoin faisant preuve d'une certaine qualité d'observation aurait pu affecter de Jack. Le sourire de Jack ; aucun autre terme n'était jamais plus correct que celui-là. Il libérait les poissons. Jack estima cette activité, bien qu'excentrique, tout à fait honorable. Elle se retint d'en saluer l'action d'un geste de main exagérément pompeux. Sans doute était-elle alors sous l'emprise bienfaitrice de la nicotine, ou ces injections magiques dont son bras se voyait régulièrement percé ; en temps normal, n'aurait-elle pas poliment haussé les sourcils ? Mais peut-être, et c'était une explication d'autant plus absurde, s'intéressait-elle réellement à la tâche rouge, comme son esprit l'avait baptisé, à cette échalote aux états asiatiques qui libérait les poissons à l'heure où la lune rencontre le soleil et échange avec lui un baiser ?

Un recueil, lequel la prit au dépourvu, vint peser sur ses cuisses, ses jambes étendues. Chuté de la poche où son propriétaire l'avait précédemment rangé, il venait apparemment chercher réconfort dans ses bras. Elle l'ouvrit, moins par curiosité que par automatisme, et en survola précautionneusement les pages glacées. Jude s'excusa – elle ne l'entendit que confusément – puis s'assit à ses côtés. Probablement en avait-il assez de cet arbre à l'aspect trop inconfortable, au bois rigide et sombre.

– Je peux vous demander quel est votre pré-

Elle ne sursauta pas au bruit sourd qui s'ensuivit et se contenta de lever les yeux. Les étrangetés mettaient un point d'honneur à se succéder. Voilà que sa tâche rouge était frappée à la tête par une bouteille d'alcool. Du saké, constata-t-elle ensuite, lorsque Jude en huma le contenu et qu'elle fit l'effort d'examiner celle-ci.

– Ce serait impoli de ne pas vous en offrir, déclara-t-il.

Jack inclina la tête, évasive, et consentit à ce qu'il lui en serve. Elle n'avait pas l'habitude d'en boire, préférait le whisky, le rhum, l'absinthe – qu'elle ne se permettait qu'en France, dans la réserve de son grand-père, et secrètement. L'alcool de riz présentait au moins deux avantages, en la situation présente : il pouvait se révéler bien plus fort qu'elle le croyait, et promettait de douces chaleurs dans les heures qui suivraient.

– Je veux bien. Merci.

Elle se tourna à demi vers lui, ses longues ondulations brunes et désordonnées balayant l'espace sous son mouvement. Elle hésita à se dévêtir de son manteau trop encombrant, mais ne tenterait finalement pas la maladie une seconde fois. Une chanson qu'écoutait fréquemment son frère, ces nuits d'angoisse où il venait enlacer son dos, lui revint en mémoire alors qu'elle assistait à l'apparition d'une première étoile, et ne la quitta plus.

– Je m'appelle Jack, dit-elle sans préavis, une réponse à une question jamais achevée. Je suis venue ici pour dormir.

La cigarette, presque entièrement consumée, entre le pouce et l'index, dont elle s'enivra une dernière fois avant d'en faire disparaître le mégot ; elle s'empara de la suivante, gauchement, le geste lent. L'incendia, portant à ses lèvres, en testa le filtre. Au creux de sa paume, le flacon désiré précédemment apparut. Elle dévissa le capuchon, y trempa le rond de plastique, inspira longuement et donna vie. Une première bulle, suivie de ses sœurs, prit forme, et, presque à tâtons, pénétra au cœur de cette forêt lui ouvrant ses bras, cette forêt aux secrets multiples, que jamais elle ne révèle.

– Ne trouvez-vous pas cela joli ? Elles sont nées sur ma bouche et mourront à la cime d'un chêne.

L'ébauche de sourire, auparavant esquissée, s'étira plus franchement. Donnant vie d'une main, pourrissant ses poumons de l'autre, elle se sentait bien. Elle était sereine. Appréciant la présence de cette tâche, la tâche rouge, elle ne souhaitait pas son départ. Probablement paraissait-elle étrange, à ainsi agir. Son comportement, non, n'était pas des plus normaux. Et lui, cet homme, l'était-il, normal ? Jack aurait aimé lui poser la question. Elle en articula une autre.

– Quel âge avez-vous ?

Elle réprima un toussotement sec, lui arrachant un sursaut. Ses yeux furent, un fugace instant, comme habités d'une émotion ; eux qui jusqu'à lors, ne faisaient preuve que d'une absence d'expressivité intense.

– Êtes-vous heureux ?
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