Adélice avait quitté le bal plus tôt que prévu, finalement agacée par Garth et les autres. Elle avait prétexté une fatigue soudaine et s'était littéralement enfuit de la salle hivernale. Sa mauvaise humeur était revenue, et la jeune femme ignorait pourquoi. Adélice n'aimait pas être de mauvais poil, parce que cela l'irritait encore plus. Et quand elle était irritée, elle n'arrivait pas à se concentrer et perdait de sa vigilance. La jeune aristocrate s'était réfugiée dans l'Aile des Plumentines, les rideaux de son lit à baldaquin tirés et scellés magiquement.
Elle resta éveillée une bonne partie de la nuit, le nez plongé dans un livre de recettes indiennes, évitant soigneusement du regard quelques lettres innocemment posées sur sa table de nuit. Adélice aurait préféré être tenue dans l'ignorance pour une fois. Mais non, son père, encore une fois, voulait la mêler aux affaires des Sang Purs, alors qu'elle n'en avait cure. La sorcière ne voulait pas être impliquée dans cette guerre saugrenue. Elle n'était ni gentille, ni méchante. Et bien qu'elle n'approuvait en rien la façon de faire de l'Ordre de l'Ouroboros, Adélice ne tenait pas non plus à se battre contre eux.
La guerre était une chose futile à ses yeux. Tant d'utiles personnes perdues, pour rien. Tant d'efforts et de sang coulé pour gagner le pouvoir et puis finalement se faire poignarder dans le dos par ses prétendus alliés. Non, vraiment, Adélice répugnait à participer à cette mascarade. Et cela, son père ne voulait pas le comprendre. Était-ce si difficile d'accepter que la jeune femme ne cherchait pas le pouvoir ? Le paternel avait une vision bien manichéenne des choses, alors que pour elle, il n'y avait que des nuances de gris. Adélice ne croyait pas en l'altruisme. Les gens altruistes étaient trop honnêtes pour êtres vrais. Et les gens trop méchants étaient un peu trop caricaturaux à son goût. Il était ridicule de penser que l'on naissait méchant, on le devenait, un point c'est tout, pour une quelconque raison plus ou moins justifiée.
Sur cette réflexion qu'elle avait voulu à tout prix éviter, la jeune femme s'était finalement endormie d'un sommeil léger. Puis elle se réveilla quelques heures plus tard. Son estomac protestait bruyamment, après tout elle n'avait pas mangé grand chose hier soir – sinon elle n'aurait pas pu enfiler son corset. En parlant de corset, Adélice avait complètement oublié d'ôter sa robe, et c'est ainsi vêtue qu'elle descendit de la Tour pour se rendre aux cuisines. En traversant un couloir, elle jeta un œil par la fenêtre. Le soleil était à peine levé. L'aristocrate rebelle aimait le petit matin. Tout le monde était encore endormit à cette heure-là, et le monde était quasi silencieux. On avait l'impression d'être le Maitre du monde, dans ces moments-là, persuadés d'être le seul éveillé.
Lorsqu'elle atteignit finalement le Hall, qu'elle ne fut pas sa surprise de trouver plantée là, Mélite d'Orcy, valises en main et le cheveu légèrement décoiffé. Dans un froissement de robe baroque, Adélice s'avança vers elle. Les rayons du soleil qui traversaient les grandes vitres en arcade, surplombant la grande porte, rendaient ses cheveux blond platine particulièrement lumineux.
« Tu t'en vas. »
Ce n'était pas une question, juste un simple constat. Comme si elle avait besoin de constater les faits pour qu'ils deviennent enfin réels dans son esprit. Cela lui faisait mal de l'avouer, mais l'Université lui semblerait bien vide sans la grande Mélite d'Orcy.
« Je n'arrive pas à croire que je vais dire ça mais...fais attention à toi. »
Adélice ne tenait pas particulièrement à sa compatriote, mais elle était probablement une des seules personne à comprendre ce que la jeune femme allait devoir traverser. Et elle était un peu...triste, qu'une fille comme d'Orcy finisse par courber l'échine devant des sorciers incapables d'obtenir avec subtilité ce qu'ils voulaient. Mélite méritait mieux que ça, et elle s'imaginait mal la jeune femme obéissant à ces hommes. Dans son esprit, la française était faite pour diriger, et non pour être dirigée.
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