S.W.Y.N ¤ Someone Wants You Nuts ¤
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 Quelque part dans le soleil

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Tao Lyngheid
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Tao Lyngheid



 
▌Né(e) le: 3 décembre
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MessageSujet: Quelque part dans le soleil   Quelque part dans le soleil EmptyMer 26 Mai - 20:32

Il l'avait cherché, cet arbre entre la tour de Plumentine et le cimetière, planté comme un vieillard qui en avait marre d'envoyer la main au soleil. Ses branches prises d'arthrite devaient craquer au vent comme des articulations rouillées. Son feuillage clairsemé avait tout juste ce qu'il fallait pour dessiner des ombres au sol. Son corps penchait vers le cimetière, comme attiré par cette terre fertile où reposent tant de cadavres; de l'engrais pour inspirer la jeunesse à ses racines pendant les décennies à venir. Il mourrait d'envie, finirait par en tomber, et on en ferait un rouleau de parchemin, que Tao souillerait de sa mauvaise plume avant de tordre et de jeter dans la gueule du foyer. Il finirait au ciel, après avoir passé par l'enfer.

Plus tôt, dans le dortoir, Tao avait dormi, rêvé, puis prétendu dormir avant de véritablement se rendormir et devenir la cible d'un bombardement de songes tout sauf reposants. Il s'était réveillé avec l'impression d'étouffer, le visage enfoncé dans l'oreiller, les yeux qui bavaient des larmes poivrées. Déjà à cette heure, le jour s'était imposé dans la pièce et pointait sur le drap couvrant la tête de Tao un rayon accusateur. Sous le poids du blâme, la loque Lyngheid avait émergé de sa caverne de cauchemars et traqué le sommeil pour un éveil anesthésié. Il s'était levé de la main gauche. Avait suivi la droite, puis le pied gauche et son voisin le droit. Se hisser debout. Et, poussé par la clarté cruelle, s'habiller, à peu près. Extraterrestre. Chaque geste était un calcul approximatif, un essai pas toujours fructueux. La faim ne lui tiraillait plus l'estomac, mais pesait sur sa nuque et handicapait chaque tentative d'effort. Un de ces jours qui résulte d'une nuit trop bien dormie. Il ne s'était pas levé une fois, pas réveillé avant le matin. Il avait respiré fort et profondément et sans entendre les soupirs irrités de ses voisins de lit.

Il oublierait les chaussures, mais pas les verres fumés, ni la radio. La radio... gain morbide. Julian Machin n'avait pas trouvé mieux à faire avec la machine trafiquée de son défunt frère. Il n'avait surtout pas mieux trouvé pour dégoter de quoi se payer sa dose de champis. En haussant les épaules, au « C'était pas à ton frère, ce truc? » de Tao, il avait d'abord répondu que « non », pour finalement se reprendre dans un « De toute façon qu'est-ce que tu veux qu'il en fasse, aujourd'hui? Moi j'en ai pas besoin. » Pas faux, il fallait l'admettre. Admettant plus ou moins, mais trop impressionné par la chose, Tao avait sorti sa poignée de gallions de sa poche, etc. « J'y ferai attention. » Julian l'avait regardé, avait terminé de compter sa monnaie, et marmonné un « S'tu veux... » en partant. Et donc, sa radio magique moldue à la main, entre autres, tard ce matin Tao s'en était allé dans les couloirs solitaires, jusqu'en bas, jusqu'à dehors et jusqu'à cet arbre, au pied de son tronc courbé et large.

- Salut... Je peux m'asseoir?

Qu'il demanda au vieux en levant sa tête de fausse célébrité vers la tête d'arbre du grand-père. N'obtenant pas de réponse, Tao avait suivi ce qu'il s'imaginait être le regard des branches et vit le cimetière au loin. Il soupira, laissa tomber son sac à dos à l'effigie des Karasjok Kites, présent que son père lui avait envoyé quand il avait reçu sa lettre d'Ing Søren, et s'assit à l'ombre, en tailleur, sa radio posée à son côté. Il se demanda si le petit frère de Julian avait une télévision. C'était embêtant, il n'osait pas poser la question. Même que, rien que de penser à ce à quoi il pensait alors avait quelque chose de gênant. Il se demandait si le petit frère mort de Julian Truc avait eu en sa possession une télévision, lui, Tao Lyngheid l'épargné, l'intact Tao Lyngheid. Sauveur improvisé, grand frère intouchable, un monument de santé, l'amant privilégié du hasard. Tout de même un peu écorché au passage, se rappela-t-il en glissant son pouce sur la plante de son pied. L'entaille avait presque disparue, presque, mais pas encore.

- Rictusempra, qu'il fit avec sa baguette en visant la radio.

Sous le coup du sort, l'appareil vacilla et tomba sur le dos en éclatant de rire. Tao aussi s'étendit, et sourit d'entendre la voix aiguë que crachotait le petit haut-parleur. Il déboutonna le haut de sa chemise, attrapa d'une main ses Karasjok Kites et en tira une bouteille et un sac. Petit déjeuner un peu tardif... Il avait improvisé. Lait au chocolat et chips à rien sauf aux pommes de terre et au sel. Pour le dessert, il avait réussi à se remplir les poches d'une grosse poignée - et demie - de dragées surprises.
« Où tu vas, Tao Lyngheid? » Lunettes sur le nez, il avait lentement approché sa main des bonbons, mais on lui avait tapé les doigts. « Réponds et t'en auras. » Elles n'avaient pas vu ses yeux rouler d'exaspération. « Au cimetière. » D'où les verres. « Pourquoi? » Mourir, sans doute. « Dormir... » Et finalement, il avait mis la patte dans le sachet, pendant qu'elles rigolaient comme des radios trafiquées. « T'es con... » Peut-être, mais elles venaient de se faire chiper la moitié de leur butin.

Et la radio se marrait encore, mais de moins en moins fort, et bientôt son rire muta vers le ton d'un chanteur dont la mélodie coulait sur des rythmes qui ramenaient doucement sur terre, avec une voix comme un vent chaud. Un clavier insouciant, léger, une basse qui groove, qui s'enracine, des mots qui répétaient qu'ils connaissent un endroit où on peut continuer, où on peut devenir... Quand les dos se sont tournés et qu'il ne reste plus rien, il y a là, cet endroit quelque part dans le soleil... Derrière les verres teintés, Tao pouvait regarder le soleil de face, de front, sans se brûler la rétine. Il y était un peu, à cet endroit, probablement une île des caraïbes, à fumer un joint devant la tombe du Jamaïcain qui avait branché son micro dans ses oreilles. Quand la chanson se terminerait, la radio rirait encore, jusqu'à que sur il ne savait quel poste, on transmette il ne savait quelle nouvelle musique. Par chance, peut-être qu'elle ressusciterait le défunt rastaman plus longtemps.

Tao se saisit du sac de chips, l'ouvrit et y plongea une main gourmande. C'était bon. C'était huileux, salé, croustillant. Ça goûtait l'insouciance. Ses doigts goûtaient la même chose, et cette dizaine de brins d'herbe, si quiconque venait à y brouter, auraient une saveur semblable.

- I know a place...

Chantait-il du bas de sa tour en ne pensant plus à rien, ses prunelles invisibles derrières les vitres noires, rivées au cimetière.

- Where we can carry on...

Et ce, longtemps. Droit devant, en plus.
Incertain des paroles du couplet, il se tut et tendit les chips au-dessus de lui.

- T'en veux?

L'arbre ne répondit pas. Alors, Tao lui en lança une poignée dans les feuilles. Le vent en dispersa une partie. Un festin pour fourmis, un miracle. Des chips tombaient du ciel... Et le reste lui atterrit dessus, ici et là. Un fragment de chip claqua même sur le plastique qu'il avait devant les yeux.

[Pour la petite fille]
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Lenaïg A. E. Lyngheid
M.U.M
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Lenaïg A. E. Lyngheid



 
▌Né(e) le: Dix-Sept Juin
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MessageSujet: Re: Quelque part dans le soleil   Quelque part dans le soleil EmptyMar 10 Aoû - 21:23

[ Puisse le Petit Homme me pardonner le léger contre-temps, ou pas, ça m'apprendrait, un peu. ]


C'est quoi le temps qui passe ?
Pourquoi si je bâille, tu bâilles aussi ?
L'infini, ça va jusqu'à où ?
Quand on est mort, c'est pour la vie ?


« Eh, moi j’en veux ! »

__
On s’arrache sans gloire aux tâches qui ne manquent pas de nous incomber, parce que les enseignants vivent de manière jouissive les errances affolées de leurs petits étudiants, bêtes de sommes, mais voués à un avenir prestigieux auquel ils ne manquent pas de les préparer avec minutie – et de le leur faire savoir – dans l’idée décadente que les reflets de l’université illuminent bravement l’intégralité des continents, sans qu’aucune école ne puisse ignorer son nom, ce pour quoi il est nécessaire de justifier le traumatisme imposé tout en privilégiant une formation complète et innovante, de sorte que … Eh, Ta gueule.

On s’arrache sans gloire aux tâches qui ne manquent pas de nous incomber, chassant les nappes de culpabilités qui embrument fidèlement les arcanes de nos esprits, pour nous porter vers l’idéal engagé du travailleur dévoué à mener à bien leurs entreprises respectives. Il s’agit d’un investissement sans faille dans l’ambition que l’on poursuit – Ambition elle-même choisie pour honorer les états, leurs gouvernement, leurs économies, leurs rangs mondiaux, leurs réputation, aussi. Travailler plus pour gagner plus.. Bon sang, c’est que ces charmants bambins connaissent parfaitement leur but ultime : Injection dans le crâne, correcte, gravure dans le cerveau, correcte, mise en pratique, objectif partiellement atteint. Il faut savoir faire face aux lacunes de son système, certains ne peuvent en aucun cas s’y plier, c’est relativement triste/désolant, mais inutile d’en disserter, évidemment. Les plumes y sont incompatibles.

__

Le visage enluminé de la gamine rayonnait tranquillement, le soleil dorlotait son visage, lui donnait un teint agréable de poupée – sans le côté plastifié de la figurine – et ses yeux semblaient comblés, accompagnaient son sourire, comme privé de désir, repue. L’herbe apparaissait trop verte, l’horizon trop bleu, pastel, blanc, gris, arc-en-ciel, rose, c’était d’une folle féerie.

« Tu travailles pas ? »

Sans se départir de son éclat ? – soit – elle fit une grimace, un sourire entendu, et se ravisa.

« Non, dis rien, j’vais m’en passer »

Suivi d’un grand sourire, dégagé, et chaleureux, comme pour le réconforter. La radio crachotait vaillamment sa voix légèrement déformée, l’arbre semblait reposer, avachi, comme après un copieux repas – les chips – et tout semblait sourire, comme à l’image d’une joyeuse journée, dans un pic-nic, dans un parc tendre. Tout respirait le tendre et l’éveillé. L’idéal, l’inexistant, l’improbable, mais aussi le vrai. Il y avait du réel, du noir, de ces zones d’ombres qui nous broient les entrailles, et sur lesquels, en cet instant, on prenait une distance, un recul qui, comme lorsqu’on voit quelque chose de loin, minimisait quelque peu ces gouffres.

__

Les dernières lignes qui regroupaient les dernières lettres des derniers des quatre mille mots qu’elle avait associés pour expliquer avec toute la bonne volonté du monde les différentes hypothèses expliquant les affinités d’une personne et d’une personnalité avec les différents composants des baguettes magiques, ainsi que leur association, et la part de génétique ou de familial dans ces affinités étaient à peine lisibles, et certaines phrases parfaitement incohérentes, voire d’un anglais grammaticalement incorrect, mais elle avait mis son point final, et là, inutile de songer relire encore une fois cet amas de mots. Aussi, elle avait posé sa plume, les yeux écarquillés d’avoir fixé son parchemin des heures durant, rangé son encre, et attendu, béate, quelque peu hébétée par cette concentration trop accrue et ayant trop duré. Les yeux errants, assise en travers dans un fauteuil de la salle plus-que-commune, les silhouettes avaient défilé devant elles, et, comme lorsque la fatigue l’étreignait, les plus fortes pensées – celles qui envahissent l’espace, le compriment et l’étrangle, le brisent, le brûlent, lui devinrent lisibles. Mince, je n’ai pas écrit à Maman, hier. Qu’est-ce qu’il a, à me regarder en coin, lui ? J’adore son cache-cœur. Elle est plutôt Jolie, mais … Quoi ? Que lui dire ? Je suis perdu. En même temps, si comme il le dit, il était à l’infirmerie le soir de l’attaque, c’aurait du être facilement vérifiable. Si le poison de manticore, de plus, permet de ralentir la progression de l’élixir et être annulé par … Je ne finirai jamais cette thèse, c’en est fini de moi. La boutique est un peu avant, voil…
Eh, Fermez-là.

L’incessant brouhaha, quoique la salle fut plutôt silencieuse, arracha une grimace à Lae, qui finit par se lever, et la quitter, avec de ces gestes irrités particulièrement limpides, qui témoignent parfaitement de ce que pense la personne sans avoir besoin d’aucune legilimencie. Elle portait un haut coloré – de ces hauts à manche unique qu’elle faisait faire à sa mesure, aux nuances beiges et chocolat, avec des voilages légers et désorganisés, et qui laissait ses épaules, sa nuque et ses omoplates à l’air libre, puisque son écharpe légère se trouvait dans sa main. Et ainsi, elle avait erré une quarantaine de minutes, regardé les papillons, joué avec le soleil, sourit aux oiseaux, goûté les voluptés du vent dans son dos, et aperçu une silhouette qu’elle ne connaissait que trop bien. Non, pas trop. Juste assez.
L’arbre veillait, en somnolant, et, lorsque le vent l’agitait, il semblait s’éveiller brusquement, comme un vieillard endormi, à qui l’on avait convié la garde d’un enfant, et qui, après son assoupissement, se relevait dans l’affolement total, s’agitait vainement, puis se détendait en apercevant le gamin dans le bac à sable. Oui, l’arbre semblait veiller un peu sur Tao, le gardant de toute nuisance, et sa propre sœur hésita un bref instant, comme suspicieuse d’une véhémence invisible – et improbable - du centenaire. Mais elle avait fait quelques pas, un peu sautillant – trop – et s’était approché.

__

« Et puis, tu devrais arrêter de chanter, aussi, non, parce que. »

Elle s’approcha plus près, plongea ses doigts dans le paquet de chips, les amena à ses lèvres avec toute la raffinerie dont elle était capable, les yeux égarés on-ne-sait-où. Puis, une fois sa bouche vidée – et parce qu’elle avait été suffisamment élevée, elle prit même soin de nettoyer sommairement ses dents à l’aide de sa langue, avant d’entrouvrir les lèvres, de la manière la plus discrète possible – elle râla, pour la forme, parce que c’est hachement mieux.

« J’aime pas tes chips. Elles sont fades, nulles, molles. »

Moment de silence, visage blasé.

« Un peu comme tes blagues, quoi. »

Un court instant aux mêmes traits, puis, subitement, sourire de grande envergure, comme un grand volatile aux éclats de ciels et de soleil, noble, sans piaillement, pour une fois, simplement avec le cœur grand ouvert. Oui, c’est poétique, et c’est beau, et ca brille.
Elle s’allongea alors, chevauchant à demi Tao, tentant malhabilement de le faire rouler sur le côté pour l’agacer, les narines imbibées de son odeur sucrée, mêlée à son haleine de pomme de terre, et aux relents discrets de la nature, de la vieillesse de l’arbre et des fleurs, et elle se sentait implacablement vivante, là, sur la chaleur de la peau de son frère. Il n’y avait rien de plus important que de se sentir aussi vive. De se sentir respirer, de sentir son sang dans chacun de ses vaisseaux, d’entendre son propre cœur, un peu plus rapide que celui de son frère, davantage entrainé, sans aucun doute. Leurs sangs dansaient, peut-être, naviguaient, qu’en sais-je, juste à fleur de peau, ils murmuraient des danses bulgares et des chants africains, des musettes françaises et des valses anglaises. Ils dérivaient inconsciemment, innocemment, et sans questionnements.

C’est toi, Lae, qui divague.
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Tao Lyngheid
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MessageSujet: Re: Quelque part dans le soleil   Quelque part dans le soleil EmptyLun 7 Mar - 15:45

Dans un bruissement de feuilles, l'arbre s'était penché à son oreille. En un filet de parfum, il lui avait murmuré qu'elle viendrait.

Il ferma les yeux. D'abord, il l'entendrait.
Dans un coup de vent, sa voix avait filée au-dessus de sa tête, mais il l'avait attrapée d'une main. Ma Lae. Qu'il se dit. Je te tiens. Et elle venait. Les brins d'herbe annonçaient son arrivée, courbant tour à tour l'échine au passage de la reine. Souveraine des sourires de Tao. Il les lui servirait en sauce, pour ses chips.
Quand il les rouvrit, ses yeux, elle était là, à lui faire de l'ombrage, la main dans le sac. Ses verres ne lui servaient plus à rien. Le soleil? C'est qui celui-là? Mais il les garda sur son nez quand même, ses lunettes faiseuses d'ombre, pour ne pas qu'elle voit qu'il la regardait et qu'elle devine à quel point c'était difficile, de ne pas céder au sourire qui lui faisait déjà rire les yeux. Il avait envie de lui tirer les cheveux, par amour. Pris d'un de ces élans d'enfants qui aiment trop. Quand le bonheur devient violent, pour mieux se faire entendre. Mais cela passa, évidemment, ça avait à peine existé, de toute façon. Tao ne tirerait pas les cheveux de Lae, non, il les lui emmêlerait gentiment avec ses doigts, en prétextant les lui coiffer. Et il le ferait en chantant.

Il ricana, se fit mou, lourd, immuable. Heureusement qu'il avait gardé ses verres, parce que Lae souriait. Le soleil pouvait aller se cacher derrière un nuage. Il pouvait courir pour en rattraper un de ceux qui s'en allaient, là-bas bien loin, parce qu'il avait l'air ridicule et qu'il n'y avait plus personne, sinon les morts, pour l'admirer.

- Attend, je vais t'aider.

Il roula dans le sens qu'elle le voulait, mais pour se donner un élan, et lui rouler dessus juste après. Gentil rouleau compresseur, le Tao écrasa la Lae, comme une grosse crêpe. Ou un pancake, doré juste à point, en plus. Miam miam. Et atterrit de l'autre côté, sous d'autres branches, mais auprès de la même petite soeur gâtée pourrie.

- J'aime mes chips. Ils se mangent, statua-t-il en s'accoudant sur les dévoués brins de vert, étendu sur le côté. Il retira ses binocles de faux aviateur, les confia au pied de l'arbre et darda sur l'envahissante petite fille un regard de tueur. J'aime les Lénaïg. Pour la même raison.

Oh no! s'écrièrent en choeur les fourmis. Hélas, il était trop tard pour l'infante, elle finirait broyée par les molaires de son frère, qui ne tarda pas, d'ailleurs, à répondre à l'impatience de son estomac. Il lui croquait le bras. Cependant il s'interrompit brusquement, dédaigneux, laissant sur la peau blême de l'avant bras de sa proie de belles coulées de bave.

- Tu manques de sel. Sois gentille et mange des chips, petite patate.

Il s'assit à peu près, une jambe couchée, l'autre dressée. Il regarda le cimetière, au loin, et lui mit la main dessus. Cette large paume encore fatiguée, aux veines enflées, de l'exacte grandeur qu'il fallait pour empoigner le cimetière et le faire disparaître du paysage. Plus de morts, aujourd'hui. Les cimetières avaient eu leur dû, et bien plus encore, bien trop. Mais qu'est-ce tu te racontes, Tao, il fait beau, le ciel est beige, la vie est chocolat et Lae brille. Il se tourna vers elle, désireux de se hâler le teint, lui prit le visage d'une main et lui serra les joues pour lui faire une tête de poisson.

- Que t'es belle! Mais que t'es belle, ma Lae! s'extasiait-il avec emphase. Tu te souviens quand je t'ai gagnée, à la fête foraine? Je t'ai choisie parce que, de tous les petits poissons qui tournaient en rond dans leur sac plastique, c'est toi qui avait les écailles qui brillaient le plus.

Il lui rendit son beau visage et pivota vers elle pour se faire, de ses cuisses, un oreiller. Il avait mal dormi, il avait le droit. Étendu de tout son long, jambes croisées, il posa sagement ses mains sur son ventre et leva les yeux pour regarder, apparemment sérieux, sa tête de lit chevelue. Poisson ou pas, c'est vrai qu'elle est belle. Du bout des doigts il saisit un pan de tissu de son haut, l'effleura, silencieux, en ne songeant à rien sinon que c'était doux. Elle portait de ces trucs qu'elle seule pouvait si bien porter. Ça flottait, léger comme des plumes. Un beau plumage, d'une élégance naturelle, voire simple, si ça se peut. Avec Lae ça se pouvait. Elle était comme un de ces oiseaux qu'elle aimait à observer. Seulement, elle, c'est lui, qui l'admirait. Lui, dans sa vieille chemise fatiguée, dans son pantalon délavé, dans ses pieds nus... Un drôle d'oiseau.

- J'oubliais, reprit-il un peu confus, mais j'ai autre chose, si tu veux...

Oui, dans son sac, qu'il traîna jusqu'à lui et dont il ouvrit la gueule, béante, pour en dévoiler les trésors. Mais il se résigna et repoussa ses Kites, avant de plonger une main dans sa poche droite en se tortillant. Jusqu'à ce qu'il trouve ce qu'il y cherchait et que son poing reparaisse à la surface. Il lissa sa chemise, déposa les dragées sur son torse et, d'un geste tout de grâce et de précaution, invita la petite soeur à se servir.
C'était comme avant. Quelque part où il n'y avait rien qu'eux. Avant comme dans « hier » ou comme dans « il y a trois, quatre, cinq, dix ans ». Avant comme dans « peut-être pas demain ». Il sourit. Pour la voir sourire, sûrement. Encore, encore... Aller, encore une fois. On n'en a jamais trop, de ça, de ce que tu arrives à faire, rien qu'en souriant. Ça se cultive peut-être. Sans doute, ça se nourrit de chips et de musique.
La radio s'étouffait. Elle toussait comme un vieux fumeur. On aurait dit que des postillons allaient lui sortir des hauts-parleurs. Elle toussa comme ça quelques secondes, sous l'oeil, ou plutôt l'oreille, d'abord surprise, mais bien vite hilare, de Tao. Ensuite, l'appareil sembla chercher où se poser, passant d'un poste à l'autre sans se fixer. Il se fit oublier. Tao regardait Lae, plissant les yeux pour s'inventer un air exagérément songeur, trop songeur pour être crédible, et pourtant, il songeait.
Sa Lena, sa Lélé, sa Nana, Néné, Lae. Le petit bout de femme qu'il avait tenu par la main... Elle lui évoquait de ces questions dont les réponses, craignait-il, ne se dévoileraient jamais. Jamais à lui. Comme si elles le jugeaient trop médiocre, insignifiant. Tao regardait ailleurs. Il regardait son gros orteil droit. Il était le gros orteil droit de ce mystère, le gros orteil droit de sa famille. Il soupira. Boucle-la Tao, t'es con.

- Je suis con, Lena. Pour me faire pardonner, je t'amènerai en Alaska. On ira voir la pygargue à tête blanche et sa copine l'oie des neiges. Il releva les yeux, prit la main de Lae et la posa sur son front. On partira après tes études. Ou l'été prochain, si on s'ennuie. Rien que toi et moi. Et papa si il veut. Mais je parie qu'il pourra pas.

Il se vit loin de Swyn, déjà, avec Lae sous une peau de loup, lui sous une peau d'ours, marchant tous deux dans le grand froid, seuls. Eux qui ne vivraient que de ça, de voir l'autre vivre. Délestés des souvenirs qu'ils auraient laissés de l'autre côté du monde. Qu'un ou deux port d'attache, un ou deux noms. Il dirait à Lae de choisir pour lui, si elle le souhaitait, parce qu'il ne saurait quoi dire. Son port d'attache il l'aurait avec lui.

- C'est pas grave. Toute façon je préfère ne partir qu'avec toi. T'es plus drôle.

Il se redressa et les dragées déboulèrent dans l'herbe. Il n'en fit pas de cas et passa, pour s'appuyer, son bras à côté des jambes de Lae afin de se retrouver face à elle. Il s'en prit une fois de plus à l'un des pans de son vêtement, tâtant distraitement l'étoffe.

- Ça te le dirait vraiment, d'aller voir là-bas? Je voudrais pas t'y forcer. Si tu préfères on pourrait aller se faire bronzer sur une île, ou manger des sushis au Japon, ou n'importe quoi n'importe où... Avec n'importe qui.

Elle poussait, la petite fleur, la petite soeur, depuis qu'elle était à Swyn. Et il la voyait s'étirer, pétales et feuilles déployés, en se demandant parfois vers où elle tendait. Il s'efforçait de s'en montrer content, même s'il n'y comprenait pas tout, à l'instar, lui semblait-il, de certains autres. Mais il se disait que c'était mieux comme ça. Que ça l'était forcément, tant que c'était ce qu'elle désirait. Il n'avait pas la main très verte mais, il avait de bons bras et la porterait partout où elle pourrait trouver un rayon de plus pour se dorer les plumes, que dans le ciel on n'y voit qu'elle. Tao le botanornithologue. Il affublerait sa Lae d'une paire d'ailes qu'il ferait lui-même et la coifferait d'une couronne de marguerites. Tient, maintenant t'es prête. Et il la suivrait, de sa fusée, ou de son nuage.
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Lenaïg A. E. Lyngheid
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MessageSujet: Re: Quelque part dans le soleil   Quelque part dans le soleil EmptyMar 26 Juil - 19:19

« There are two ways of spreading light: to be the candle or the mirror that reflects it. »
[Edith Wharton]



On a dessiné le temps, on lui a donné des couleurs, pour faire illusion, on lui a accroché des rubans, des gommettes, on a écrit des poèmes pour ceux qui s’ennuyaient, on a mis quelques notes, ajout de voix, pour chanter, pour crier, des insectes pour agacer, pour froncer des sourcils, du soleil. Mais un faux, un substitut, un ersatz comme une bille qu’on ne peut pas regarder. Parce que le soleil, ce n’est pas vraiment cela, un petit astre qu’il suffit d’enfermer dans ses doigts, un disque, avec des rayons-regrets naïfs, qui voudraient qu’on les croit capable de nous happer, de nous brûler. Ils sont incendiaires, peut-être, rais timides. Non, le soleil n’est pas vraiment là, n’est ce pas ? Lui, c’est plutôt des fragments émiettés sous les pas, c’est tout ce qui dort dans le coin des yeux, dans les plis des sourires, dans le tournoiement d’une feuille, dans les ronces, dans les griffures, dans les ombres et puis dans la vie aussi.


Tombée. Tombés. Tombé. Un petit aller, un petit retour, c’était son poids qui s’abattait sur elle, et elle aurait voulu le mordre, pour lui rappeler – apprendre- ce que se trouvaient être les bonnes manières. Oui, Tao, on ne roule pas sur les filles. On ne les écrase pas, c’est interdit. Peut-être qu’il fallait qu’elle lui accorde qu’elle n’était pas à proprement parler une fille. Ou pas entièrement. Mais c’était pas une raison, ça, si ? Il y avait son cœur qui battait tout près, sa respiration profonde, son souffle chaud juste dans son cou, il lui semblait s’entendre respirer, parce qu’elle respirait Tao, parce qu’elle était lui, un peu, surtout parce qu’il était elle, quelque chose comme ça. Les petits brins d’herbes docilement aplatis se redressèrent lentement, sur leur garde, peut-être. Ils bariolaient le bras de Tao, son coude surtout, appuyée sur la terre avide. Il aurait fallu se poser quelques questions, une ou deux, pour faire de la scène un énoncé mathématique, y poser un problème, le résoudre. C’était insensé. Mais c’est ainsi que les choses se passent, n’est-ce pas ? On aligne des équations complexifiées auxquelles il existe une solution, ou pas. Alors on se met en recherche, on la tortille, on la découpe, on lui fait faire des cabrioles et on trouve. C’est plus simple que de réfléchir aux milliers de possibles, en se disant « Peut-être », sans réponse définitive, en laissant chaque instant rendre l’un ou l’autre plus probable, plus judicieux, plus engageant, plus dangereux, plus subtil. Les dragées posées sur son torse, ça roulait, ça dégoulinait, mais quoiqu’elle fasse, Lae, courbant son corps par-dessus la tête gamine de Tao, sa souplesse défaillait, et ses lèvres n’atteignaient pas les dragées, alors elle râlait. C’était pas du jeu. Ils dégringolèrent, les petits œufs colorés, et chacun de leur cahotement, faisait vibrer la terre.

« Il lui manquait une nageoire, à ton poisson »

Le soleil se réfugiait dans son sourire : On y était le bienvenu, on avait de la place, de la sincérité, de l’ampleur.

« Et puis, c’est moi qui ait attrapé ton hameçon. Toi, tu n’aurais pas été fichu de pêcher un seul petit poisson, sinon. »

Ses petits doigts se refermèrent sur le nez de Tao, un bref instant. S’envolèrent comme des papillons. Rien ne les retenait plus, après tout. Ils saisirent une dragée, la firent glisser entre les lèvres d’un Tao, vaguement encaniné. Tu vois, le ciel ne tombe pas, il s’accroche, il se gorge de bleu, il n’a plus peur de rien, il est troué de soleil, lui aussi. Les plumes des oiseaux, ce sont des barres de soleil, aussi. Un peu. Ils font méchamment de grands trous bleus. J’m’en fiche, du soleil dans les oiseaux et dans le ciel, et même les nuages, et même la pluie.

« On ira peut-être en Alaska, les doigts tout ankylosés, tu souffleras dessus, hein ? On ira en Egypte, percer des trous dans les pyramides, poser des devinettes aux pharaons, et je danserai. Sinon, on ira dans le jardin »

Elle fit courir ses doigts sur le corps de Tao, sa nuque, son front, ses épaules, son dos.

« L’araignée Gipsy, monte à la gouttière, tiens voilà la pluie, Gipsy tombe par terre ! »

Cette fois, Lae ne sourit pas. Elle attendit un bref instant, haussa les épaules, se leva, repoussant Tao, sans vraiment de force, mais assez pour le faire basculer. Large sourire de retour.
Je n’ai plus de raison, tout est vif, la chair à fleur de peau, comme une évidence qui aurait oublié de l’être. L’horizon s’épaissit de clarté, lui aussi, il a oublié de chouiner un peu, de temps à autre, d’évacuer par crachins, quand il en était encore temps. Qu’il se démerde, le ciel, je lui dois rien, moi. Et puis je lui ai rien demandé.
La gamine détourna les yeux du ciel trop lâche et traînassant, fort de sa vieillesse et du long avenir qui se dessinait devant lui, les reposa sur son frère, et son bras plongeant dans sa poche accompagna le sourire malicieux qui déformait ses lèvres. Après s’être assurée de l’attention que lui portait l’homme-garçon, la grenouille, le chimpanzé, l’iguane - qu'était-ce, au fond, que cet humain trop humain, trop peu humain ? - qui se tortillait là, elle ressortit sa main, le poing fermé, qu’elle tendit devant elle. Ses yeux scintillants ne quittaient pas ceux de Tao, absorbés par ses doigts pliés.

« Tu n’as des yeux à rayon zixe – C’est ça, le nom ? - pour voir au travers de la peau. »

Lorsque son frère tenta d’attraper sa main pour l’ouvrir, curieux - qui ne le serait pas ? Tout le monde se demande ce que contiennent les mains de Lae, n'est-ce pas ? - elle l’évita, de justesse, hilare, ramenant son poing contre sa poitrine: Est-on mieux en sécurité qu'entre les seins de Lae, à quelques centimètres de son coeur, enfermés contre sa paume ? Non. Nul part ailleurs se trouve autant de soleil que là. Après un bref instant de ce petit jeu, elle adopta un air serein, un ton sérieux:

« J’veux planter du Thym et des Potirons. Tu m’aides ? »

Pour faire de la soupe au Potiron parfumée au Thym. Ce soir, ils auraient qu'à se faire ça, tous les deux, avec une paille et un seul bol. Sans un regard, elle entama une danse légère en direction de l’arbre, là où ses racines faisaient surface. Avec l'attention méticuleuse d'un véritable géologue, elle se mit à observer le terrain, ses formes, sa texture qu'elle évaluait du bout du pied, et parfois, pour gagner en précision, grâce à son coude - car elle ne voulait pas ouvrir son poing. Après un instant de ce petit manège, elle fit quelques pas en arrière. Puis, rayonnante, s’exclama :

« Là ! C’est parfait ! »

Et elle ouvrit sa main dans laquelle se tenaient trois graines.
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