Up and coming [Réservé]

Les derniers rayons du soleil couchant éclairaient encore vaillamment les marches en colimaçon qui menaient au phare à hiboux tandis que la lampe magique qui le surmontait commençait à diffuser sa lueur vacillante au loin.
Au sommet du grand escalier qui semblait monter sans fin jusqu'en haut de la tour, une silhouette se détachait du mur de pierre et semblait s'être immobilisée là pour toujours.
L'étudiant qui se tenait à cet endroit avait pris le temps de s'arrêter quelques instants après avoir rapidement monté les marches pour reprendre son souffle, et profitait de cette pause pour observer les alentours, essayant de repérer le chemin à emprunter pour regagner le château à son retour.

Il ne fut pas long à l'intérieur du phare et après avoir envoyé une lettre courte et rédigée très rapidement à petite sœur, dans l'espoir qu'elle ait peut être reçut des confidences de sa mère et qu'elle soit en position de lui donner quelques éléments pour mieux comprendre son changement soudain d'établissement scolaire, il se posta à nouveau en haut de cette tour, l'esprit encore dans le vague et une autre lettre à la main.

Cette lettre, adressée par sa mère ; il l'avait lu et relut, rien n'y faisait… son contenu le déconcertait à chaque fois un peu plus.
Quelques mots, désarmants de neutralité. Des phrases floue au possible entouré de toutes les politesses et marques de tendresses usuelles d'une mère envers son fils, couché à la vas-vite sur un papier exaltant de lourdes effluves de fleurs et signée de la si gracieuse main maternelle.
Et puis il y avait cette simple phrase, si courte, perdue au milieu des banalités qui lui faisait comprendre que bien qu'elle ait connaissance des mystérieuses raisons de ce transfert soudain, elle était aussi peu disposée que son mari à lui en expliquer la raison et se contentait juste de lui dire d'être patient, qu'il aurait bientôt de plus amples informations.

Le morceau de papier orné d'une rose irisée maintenant froissé au poing, il dévalait à présent les marches du phare, ayant calqué la fréquence de ses pas sur les palpitements de son cœur contrarié.
Arrivé en bas il hésitât un instant. Les alentours de l'université à cette heure tardive semblaient déserts et bien qu'il fasse encore jour la plupart des élèves devaient maintenant être rentrés dans l'enceinte du vieux bâtiment. Il se rendit très vite compte qu'il ne savait plus par où il était arrivé au phare et qu'il avait pris une mauvaise direction pour regagner le château.
Fronçant les sourcils, il rangeant le morceau de parchemin dans sa poche de jean et, en sortit un autre, tout aussi froissé, de son manteau, mais cette fois çi écrit d'une main plus jeune.
À l'aide d'un stylo rose, un plan succinct de l'université y avait été dessiné de façon schématique et annotée de petits commentaires, agrémentés de quelques cœurs et fleurs animées.
Il l'avait eu d'une de ses camarades de cours, qui avait tenté de lui faire faire une visite du château dont il doutait du but informatif.
Comme d'habitude, et comme il savait si bien le faire, il avait poliment décliné l'offre bien qu'il n'avait pût trouver d'idée crédible pour refuser le plan qu'elle lui avait rapidement dessiné sur le verso de ce qui semblait être un devoir de cours qu'elle lui avait remis avant de disparaitre avec une amie à laquelle elle se joint en un concert de gloussement qui ne se fadèrent qu'au bout de plusieurs couloirs.

Il avait vite fourré le papier dans sa poche, pensant s'en débarrasser plus tard, mais en cet instant il se réjouit presque d'avoir oublié de le faire et le dépliât tout en observant les alentours, afin de repérer où il pouvait bien être actuellement et comment il arriverait à se diriger de nouveau vers le réfectoire où le repas devait déjà avoir commencé depuis plusieurs dizaines de minutes.
Pourtant, il semble qu'il n'était pas le seul à être encore dehors à cette heure çi. Tout absorbé qu'il était à comprendre ce qui avait été griffonné sur la carte , il n'entendit pas les pas feutrés qui se rapprochèrent de lui et ne sentit même pas la présence de celle qui était maintenant seulement à quelques mètres de lui.

Perchée sur le rebord de la plus haute fenêtre du phare, la silhouette enveloppée dans son éternelle cape noire, Ren caressait le ventre d’un jeune hibou au plumage couleur noisette lorsqu’un garçon entra. Elle interrompit son activité et l’observa en silence, peu inquiète de se faire remarquer. Personne ne regardait au-dessus de sa tête, dans le phare, puisqu’il n’avait rien de particulier à y voir. Cette cachette était infaillible, et lorsqu’elle avait l’après-midi de libre, Ren y venait souvent pour vérifier l’état de santé des hiboux. Elle élaborait des potions pour entretenir leur plumage et guérir les quelques blessures qu’ils pouvaient se faire en accomplissant leur devoir. Celui qu’elle tenait entre ses mains s’était égratigné la patte lors de son dernier voyage. Ren venait tout juste de terminer de lui appliquer un onguent.

Comme pouvait en témoigner l’une de ses deux mains, tous n’étaient pas aussi dociles. La veille, elle avait tenté d’enlever une écharde de bois de l’aile d’un grand duc. Effrayé, celui-ci lui asséna quelques coups de becs qui persuadèrent Ren de l’endormir pour mieux le soigner. Trois de ses doigts arboraient des pansements depuis, mais au moins l’oiseau allait mieux. Personne ne savait qu’elle s’occupait des hiboux comme ça. Très peu de gens se souciaient du sort des hiboux ne leur appartenant pas, et pratiquement personne ne savait que Ren existait.

Le soleil se couchait à l’horizon. Tout le monde devait être en train de dîner dans la grande salle, à cette heure. Ren irait plus tard. Pour ne pas le croiser, ni même le voir ou l’entendre. Elle n’était pas particulièrement fière de sa nouvelle routine. Elle l’avait adoptée faute de mieux et s’en contentait, incapable de trouver une autre solution. Tout cœur brisé exigeait une période de convalescence, et malheureusement pour Ren, recoller les morceaux du sien lui prenait un temps fou. Elle devait tout de même regagner le château avant qu’il ne fasse nuit. Le garçon était parti depuis un bon moment déjà. Reposant son ami à plumes sur son perchoir, Ren se faufila habilement jusqu’au sol, sans bruit. Elle adressa un dernier regard aux hiboux et entreprit de descendre l’escalier.

À mi-chemin, sa main s’immobilisa sur le muret de pierre qui servait de rampe. Le garçon du phare était toujours là, non loin des plaines embrumées. Ren le reconnaissait à cause de ses longs cheveux. Que faisait-il encore là, tout seul ? Il jetait des regards autour de lui, comme si quelque chose l’embêtait. Était-il perdu ? Il ne serait pas le premier. Retrouver son chemin au sein d’un si vaste domaine prenait certainement du temps. Ren elle-même s’était égarée un nombre incalculables de fois, rien que dans le château. Maintenant, elle connaissait jusqu’au tout dernier passage secret.

Timidement, Ren s’approcha du garçon. Celui-ci observait méticuleusement une carte griffonnée sur un bout de parchemin. Très approximatif comme carte. Ren ne savait pas d’où il la tenait, mais impossible qu’il s’y retrouver avec si peu d’indications. La porte d’entrée du château n’y était pas dessinée, de même que le lac et les points cardinaux. Voulant l’aider, et ne sachant comment s’annoncer, Ren avala sa salive et pencha progressivement la tête sur le côté dans le but de se faire voir du garçon sans le faire sursauter.

« Excuse-moi… »

Le regard incertain, Ren pointa la carte de son index entouré d’un pansement.

« Ta… Ta carte est à l’envers. »

Comme elle ne le connaissait pas, Ren redoutait qu’il lui dise de se mêler de ses affaires alors qu’elle ne cherchait qu’à lui tendre une main secourable. Suffisait que le garçon entretienne un fort orgueil pour mal le prendre. Dernièrement, elle abordait le quotidien sous un angle difficilement optimiste. Mauvaise passe. Le garçon n’avait pourtant pas l’air bien méchant, mais Ren ne se fiait jamais aux apparences, ne sachant plus très bien si ce trait de caractère devait être considéré comme une qualité, maintenant qu’elle y voyait des failles.

L'étudiant de Cinnacrow fit une grimace amère. Certes, il aimait la marche mais là il avait plus envie de s'asseoir dans un des fauteuils de la salle commune, fut-elle bondée de monde, que d'errer ainsi dans tout le parc et autour du château comme un fantôme qui ne retrouvera jamais les portes de l'au-delà… ou du grand hall dans le cas présent.
Il avait pourtant beau tourner et retourner le papier froissé, orné de fleurs griffonnées et scellé d'une empreinte de lèvres au parfum chimique de fraise, rien n'y faisait, impossible de s'y repérer sans les précieuses indications du nord et de l'emplacement des entrées des bâtiments.
Il tenta un instant d'observer les alentours, relevant le nez et plissant les yeux en portant une main au niveau de son arcade sourcilière afin de se protéger du soleil qui, bien que sur le déclin, bombardait encore de ses rayons aveuglants les serres en reconstructions qui les reflétaient avec encore plus d'éclat.

Un énième soupir las vint franchir ses lèves. Devant lui gisait un immense tas de pierre, vestige de ce qui semblait être une ancienne tour, surement celle de Dorelly ou Plumentine qui avait été détruite lors de l'attaque récente.
Il ne comprenait d'ailleurs toujours pas pourquoi son père avait soudainement décidé de le faire transférer dans cette nouvelle université en plein milieu de ses années de cursus de MUM de coopération magique internationale alors qu'elle avait été il y a encore peu le théâtre d'une attaque dont les auteurs semblaient n'avoir fait aucune différence de rang ou d'origine dans les victimes, sans compter la différence de niveau scolaire avec son université précédente.
Peut-être s'agissait-il d'une des dernières lubies de son père, surement appuyée dans sa décision par son frère qui devait très certainement en savoir déjà plus que lui, s'il n'avait d'ailleurs pas lui-même suggéré une telle idée à son père. C'était tout à fait son genre que d'envoyer son frère ainé ainsi dans un des lieux de scolarité les plus saugrenus et dangereux d'Angleterre.

Il ne put retenir un soupir de plus. Reprenant la carte et essayant de comprendre devant quelle tour il pouvait bien se trouver, les yeux plissés, le nez penché sur la feuille qu'il avait, du mieux qu'il avait pu, tenté de défroisser et regrettant maintenant amèrement de l'avoir ainsi altéré en la fourrant de façon aussi désinvolte dans la poche de son pantalon quand on la lui avait donné.
C'est lorsqu'il essayait de retourner, une fois de plus, l'infortunée feuille qu'il aperçut un petit être, tout de noir vêtu et coiffé de même, apparaitre dans son champ de vision et pointer vers lui un petit doigt frêle et gracile , emmailloté dans ce qui semblait être un pansement qu'il relevât le nez. La petite personne se révélât alors être une jeune demoiselle, probablement étudiante, bien que sa maison soit impossible à identifier à cause de la grande cape noir qui la couvrait des épaules à la tête et cachait son uniforme. C'est de la bouche de ce petit être dont on ne voyait que le visage, lui aussi presque caché entre deux grandes cascades de cheveux aussi noir que la cape et orné de deux grands yeux couleurs océans, qu'un son presque inaudible fût émit pour accompagner le geste, faisant froncer les sourcils du jeune homme qui ne comprit d'abord pas ce qu'elle pouvait bien essayer de lui dire.

- Pardon?

S'en suivi presque aussitôt une autre déclaration, bien plus compréhensible cette fois-ci.

- Ta… Ta carte est à l’envers.

Sourcils toujours froncés, le jeune homme dirigea son regard de la jeune fille au parchemin puis retournât de nouveau celui-ci, plaçant le haut en bas et inversant ainsi toute l'image avant de relever le nez et d'observer la réaction de son interlocutrice.

- Comme cela?

Il plissa de nouveau les yeux afin d'observer les alentours essayant d'identifier les bâtiments qui les entouraient avant de froncer à nouveau les sourcils et d'émettre un dernier soupir agacé.
Pourquoi donc s'entêtait-il à continuer cette torture infernale?!
Il plantât ses yeux verts de toute sa hauteur dans ceux, bleus, de la petite demoiselle et demanda d'un ton presque sec.

- Par où dois-je donc me diriger pour rejoindre l'entrée de ce fichu château?!

Il en avait presque oublié la politesse et ajoutât aussitôt un "s'il vous plait" pour atténuer le ton sec et impoli de sa question avant de laisser la jeune fille lui répondre.

Le soleil couchant colorait la pelouse d’une teinte orangée chaleureuse. Les rayons caressaient la pointe de ses petits souliers violets qui dépassait de la cape noire. Fuyant le regard de gens, Ren constatait ce qui passait inaperçu pour la plupart des gens ; le temps qu’une araignée mettait à grimper au plafond, la position de l’ombre du soleil sur les arbres à différents moments de la journée, ou encore quel type de chaussures portaient ses interlocuteurs. Elle ne le faisait pas exprès. Détourner le regard était un réflexe qui la mettait mal à l’aise sans qu’elle ne puisse s’expliquer pourquoi. Un nuage passant devant le soleil l’incita à relever la tête sur la carte du garçon, cette fois dans le bon sens. Elle hocha la tête, et remarqua qu’il ne la regardait pas, préoccupé à identifier les gribouillis de la carte au panorama devant lui.

Croyant que son aide n’était plus indispensable, elle se racla timidement la gorge, prête à lui souhaiter une bonne soirée quand le garçon planta son regard dans le sien. Pétrifiée par le geste inattendu, Ren n’enregistra que la couleur de ces yeux d’un vert similaire à celui des algues qui recouvraient par endroit les rives du Nil. Elle sursauta lorsqu’il reprit la parole et s’empressa de se pencher sur la carte, agacée par la brise du soir qui emmêlait ses cheveux devant ses yeux. Si elle lui donnait les indications, l’entrée du château ne serait pas bien compliquée à trouver. Le « s’il-vous-plaît » tardif la transforma son incertitude en mince sourire.

« Veux-tu te rendre quelque part, ou cherches-tu seulement l’entrée du château ? »

La question lui paraissant incongrue, Ren s’empressa de donner des explications supplémentaires au garçon pour qu’il ne se méprenne pas.

« C’est que… Je connais des passages secrets. »

Mais encore, ce n’était pas complet. Énervée par tant de manque de confiance en elle devant un parfait étranger, Ren inspira lentement, sans bruit, et ajouta, cette fois d’un ton plus naturel :

« Si je peux t’aider à te rendre plus rapidement où tu as envie... »

Ren pouvait aussi lui dire comment trouver l’entrée du château, ce n’était pas un problème. La nature de ce qui l’embêtait tant se trouvait sans doute dans la grande salle, ou y passerait sous peu, avec quatre autres amis. L’idée de passer par le hall d’entrée ne l’enchantait guère. Si le garçon insistait pour qu’elle l’accompagne, elle le ferait, incapable de refuser. Ren n’avait pas le trempe ni le caractère pour tenir tête aux gens, ceux de son âge comme les plus âgés. Elle ne savait pas pourquoi. Était-elle née comme ça ? À force de se tenir dans l’ombre des autres, elle ne savait plus. Elle oubliait, parce qu’elle ne savait pas quoi faire d’autre. Elle oubliait très mal, qui plus est. Alex Adams n’en était-il pas la plus grande preuve ? Encore lui. Toujours lui. Chaque pensée dérivait irrémédiablement sur lui. Concentre-toi, Ren, concentre-toi ! Elle secoua la tête et remarqua à nouveau le regard du garçon sur elle.

« Oh… Tu as dit quelque chose ? »

Confuse, elle passa ses doigts sur sa frange. Si elle ne changeait pas quoi que ce soit très bientôt... Rien. Elle devait cesser de se faire du mauvais sang pour un Plume ou elle allait y laisser la raison. Ren ne pouvait se permettre d'avoir encore la tête ailleurs lorsque les cours reprendraient en septembre. Elle devait remédier à la situation une bonne fois pour toutes. Comment, elle n'en savait rien. Si elle pouvait commencer par se concentrer à aider le garçon à retrouver son chemin, peut-être retrouverait-elle le sien.

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